Aux jeunes, on a menti, et abondamment.

On leur a menti, d’abord, en forgeant un dispositif appuyé sur une rhétorique de la «responsabilisation» qui voudrait que chaque élève de 17 ans soit en mesure d’avoir un projet professionnel ainsi qu’une idée claire du type d’orientation académique qui y correspond, tout en interdisant, via Parcoursup, auxdits élèves de hiérarchiser leurs vœux.

On leur a encore menti en leur demandant d’écrire ces fameuses lettres de motivation. Cette exigence est absurde au fond : demander à des jeunes de 17 ans de rédiger des lettres de motivation à l’appui d’une demande d’admission dans des disciplines qu’ils ne connaissent guère ne peut conduire qu’à des lettres stéréotypées. Mais elle est en outre mensongère : au moment où ces lettres étaient demandées, il apparaissait déjà clairement que, dans leur grande majorité, elles ne seraient pas lues. Et ce, pour la bonne et simple raison que le travail de classement des candidatures Parcoursup – travail colossal qui consiste à affecter 800 000 étudiant·e·s ayant potentiellement fait 10 choix chacun·e – échoit à des universitaires déjà débordé·e·s. Impossible donc pour celles et ceux qui ont accepté de faire ce travail, de ne pas prendre d’abord en considération les résultats scolaires. Ces résultats, antérieurs au baccalauréat (notes de terminale et de première), constitués de notes non unifiées par un examen national, variables selon les lycées et les politiques éducatives, ont été transformés en critères de sélection des candidatures. Ceci fait écho à la réforme annoncée du baccalauréat, qui repose sur un accroissement de la part de «contrôle continu», et laisse craindre un creusement des inégalités entre lycéen·ne·s. Tout cela programme la fin du baccalauréat qui n’aura plus pour rôle d’établir l’aptitude à suivre les études supérieures de son choix.

Injustice de la mise en chiffres contre injustice du tirage au sort

Le «scandale» du tirage au sort dans le système précédent (APB) a largement servi de fondement et de justification à la mise en place de la loi ORE et du dispositif Parcoursup. Il faut d’emblée souligner la part d’instrumentalisation de cet argument, dès lors que le tirage au sort, tout problématique et injustifiable qu’il soit, n’a concerné que 0,4% des affectations dans l’enseignement supérieur en 2017.

Ce qui se profile aujourd’hui, c’est en réalité la généralisation à très grande échelle de quelque chose de plus pernicieux encore que le recours au tirage au sort. Qu’on en juge : dans des filières fréquemment confrontées à la nécessité de retenir environ 10% des candidatures (800 places pour 8 000 demandes ; 60 places pour 600 demandes…), le «classement» qu’il est demandé aux universités de réaliser aboutit à tout mettre en chiffres afin d’intégrer les appréciations qualitatives dans les algorithmes de classement : tel type d’appréciation «vaut» un 15/20, tel autre un 10/20… ; telle filière va privilégier les notes dites «littéraires», telle autre les notes dites «scientifiques». Mais cette mise en chiffres, sur de tels volumes, ne suffit pas : il faut encore départager les très nombreux ex aequo. Pour aboutir à un classement opératoire, il est nécessaire de descendre jusqu’au troisième chiffre après la virgule ! Si la seule différence entre un·e étudiant·e admis·e et un·e étudiant·e recalé·e tient à un millième de point sur une «moyenne» dont la confection soulève de graves questions de fond, n’aboutit-on pas à un système aussi injuste et plus trompeur que le tirage au sort ?

Injustice de la mise en chiffres contre injustice du tirage au sort

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