In Libération
Pascal Besuelle. Cet enseignant et militant apprécié est accusé d’avoir frappé un policier lors d’une visite de Sarkozy à Saint-Lô.
Pascal Besuelle se tient droit, mains dans le dos : pose de footballeur dans une salle d’audience. Sa main gauche serre son poing droit à s’en faire blanchir les phalanges. Il n’a pas le physique d’un athlète, pourtant. Dodu, la sueur pointant le long des branches de ses lunettes, il inspire la bonhomie. La salle est comble. Les gendarmes laissent entrer le public au compte-gouttes. Du «jamais vu à Coutances» à en croire les gardiens de la paix en grande conversation à l’entrée. Dehors, drapeaux rouges et parvis noir de monde. Un bruit de haut-parleurs parvient parfois jusque dans la chaleur étouffante du palais de justice en ce 8 septembre.
Pascal Besuelle, à la barre : «Ce que je remets en cause, c’est la gestion de la sécurité dans la ville de Saint-Lô.» La présidente, Pascale Viaud, soupire : «La question n’est pas là.» Pour elle, c’est : Pascal Besuelle a-t-il frappé Daniel Vildey, policier, le 19 janvier lors de la manifestation à Saint-Lô (Manche) qui a valu son poste à un préfet ? Pascal Besuelle risque deux mois avec sursis et 700 euros de dommages et intérêts. Il nie tout. Après le procès, il dit qu’il savait que ce genre d’accusation pouvait arriver. «On est conscient des risques qu’on encourt.»
Pascal Besuelle est un enfant de Cherbourg. «Ville portuaire, ville ouvrière, assez peu sensible aux thèses politiques radicales.» Depuis 1977, les habitants votent socialiste. Père architecte qui ne lui dit pas ce qu’il vote, mais de tradition communiste. Enfant, sa grand-mère ancienne cheminote lui raconte les grèves de 1920 et 1936, il dit qu’elles appartiennent au «récit familial». On lui aurait inculqué «l’attention à l’autre, la solidarité, la remise en cause». Il aimait l’arsenal, les industries agroalimentaires. Tout a périclité. A l’arsenal, des «6 000 salariés en 1980», il n’en reste que «2 300 ou 2 400». Mais à l’en croire, la culture ouvrière perdure, «l’amour du travail bien fait et la capacité de très fortement se mobiliser».
Aujourd’hui, Besuelle vote NPA (Nouveau parti anticapitaliste) sans conviction :«pas assez unitaire». Il a été «stal» au lycée, à une époque où «c’était très en décalage», avant de virer «trotskiste» à la fac. Il milite alors pour les prisonniers de Long Kesh et contre la centrale nucléaire qui s’implante à La Hague. D’abord surveillant, il enseigne, à partir de 1985, le français et l’histoire. Son épouse aussi est prof (d’anglais). Ils se connaissent depuis leurs 17 ans, ont eu une fille qui vient d’entrer à Normale sup’, glisse-t-il. Fier ? Pas plus que ça. «On est surtout contents pour elle, c’est ce qu’elle voulait faire.»
En 1989, il obtient son Capes de prof d’histoire-géo en interne, pour «aider les élèves à se construire, c’est plus important que la discipline». D’ailleurs, il enseigne dans un collège pas évident. A l’audience, son principal, Jean-Michel Baudoin, décrit «quelqu’un qui sait pourquoi il est au collège des Provinces, dans un quartier en grande difficulté. Il participe à la commission de discipline qui a vocation à exclure les élèves. Il a toujours essayé d’éviter les exclusions tout en ayant un regard exigeant, non complaisant. Il cherche à responsabiliser les familles.» Ses collègues ou anciens supérieurs hiérarchiques (une dizaine de témoins au procès) dressent, face à la juge, un portrait dithyrambique : «sens de la négociation», «compétence», «sens de la responsabilité», «générosité». Lui, dit apprécier toujours autant son métier.
Sa notoriété dépasse largement le seul cadre des enseignants. En 2003, il s’est découvert un nouveau combat à travers une famille angolaise : les sans-papiers et les migrants. La famille n’a été régularisée que récemment, mais pendant ce temps il a construit, avec d’autres, une antenne de Réseau éducation sans frontières (RESF) et l’association Itinérance qui aide les réfugiés. Cherbourg est un port passager. Les ferries qui gagnent quotidiennement l’Angleterre ont attiré des migrants éparpillés sur la côte depuis la fermeture de Sangatte.
Lors de ses actions, il a rencontré des élus, comme le député-maire (PS) de Cherbourg, Bernard Cazeneuve, qui explique à la barre : «Je l’ai retrouvé lors de manifestations vives. Ce dont je me souviens, c’est que Pascal Besuelle temporisait toujours. Je l’ai vu constamment calmer les choses. C’est l’un des militants les plus respectés. Je veux redire que Pascal Besuelle est un homme exceptionnel.» Sur le banc, l’homme baisse la tête, regarde ses pieds comme un élève pris à copier sur son voisin.
Il écoute le récit de la dizaine de témoins en sa faveur. Ils relatent une journée pas comme les autres dans ce département où les habitants se plaisent à citer Tocqueville : «Une région violemment modérée.»
Ce 19 janvier, Nicolas Sarkozy s’imagine déjà adulé. En fait de bain de foule, plus de 3 000 bouches le sifflent. Il faut fermer les fenêtres pour que le discours soit audible. «On voulait que ces vœux soient brouillés. La communication est l’âme de la guerre aujourd’hui. Les médias étaient là. C’était plutôt réussi.» Pascal Besuelle est membre du service d’ordre. Il a la carrure. Il a l’expérience.
Mais la manif dégénère : «Forces de sécurité prêtes à charger», «flash-ball à bout portant», «grenades tirées à 5 mètres», dit le syndicaliste. Une vitrine vole en éclats. Des blessés. Nicolas Sarkozy, furieux, rentre à Paris. Il vire le préfet, vire le chef de la police. En y repensant, Pascal Besuelle trouve cette mutation «invraisemblable».
Le Président est déjà parti quand un jeune homme alcoolisé est interpellé, place du Champ-de-Mars. Coups de pieds et crachats sur la voiture de la BAC (brigade anticriminalité). Plusieurs syndicalistes tentent de parlementer. Un policier reçoit plusieurs coups, dont l’un très violent sur la tête avec la hampe d’un drapeau. Un syndicaliste est arrêté immédiatement, il avoue et bredouille des excuses. Mais pour le policier et sa collègue, il y avait un homme au chapeau marron. Les enquêteurs identifient Pascal Besuelle sur des photos repiquées sur un site militant. Il admet avoir été présent mais nie avoir frappé et précise que son chapeau était noir. Pour le procureur, il s’est laissé emporter. La collègue du policier dit le reconnaître formellement.
Après le procès, on lui demande s’il croit avoir été visé en tant que militant.«Ça c’est de la conjecture, je ne l’espère pas. Je ne peux pas l’affirmer»… et il s’en garde bien. Toutefois, Pascal Besuelle observe, un peu désolé, qu’il y a une «multiplication des cas d’incrimination» lors de manifestations. Mais «je ne suis pas un fan de la théorie du complot. Pourquoi ils l’ont fait ? Je ne sais pas. Ils l’ont fait. Mais franchement, que de temps perdu. Tout ce temps volé au mouvement social.» Délibéré mardi.
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