Promu par la Fondapol, think tank de droite, le concept prévoit d'enterrer le collège unique en réservant certains établissements aux élèves les plus en difficulté.
Un article du Figaro du 12 décembre nous a marqué. Sur une page entière, dans un article baptisé « Education : les propositions chocs de la Fondapol », une journaliste offre un espace gigantesque aux solutions du think tank proche de l'UMP. Elles sont issues du programme « 12 idées pour 2012 ».
La journaliste écrit, dans sa chute, qu'elles ne vont pas plaire à tout le monde. C'est un euphémisme. On y apprend que Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol, Fondation pour l'innovation politique, veut créer des « écoles fondamentales » et doubler le salaire des enseignants qui y travaillent :
« Ces écoles destinées à accueillir les élèves en difficulté de la sixième à la troisième se concentreraient sur des matières principales : mathématiques, français, éducation physique et sportive et “savoir-être”.
La méthode d'enseignement “privilégiera les exercices pratiques” et s'appuiera “très largement sur les nouvelles technologies”. »
Des collèges pour les nuls, où l'on enseignerait l'essentiel. Retour sur l'idée d'un think tank très proche de l'UMP.
1 « Nous sommes dans la logique de l'éducation du sauvageon »
Que penser de cette idée ? Sur un blog spécialisé, Choukri Ben Ayed, sociologue, professeur à l'université de Limoges, s'énerve le long d'une tribune.
Joint par Rue89, il remarque d'abord que le texte sur les écoles fondamentales de la Fondapol ne s'appuie sur aucune source (études, expérimentations), et cela révèle « le caractère idéologique et fantasmé » de cette proposition.
« C'est la fin du collège unique. Cela renvoie à l'école de la IIIe République, ou quelque-chose de cet ordre-là, avec un double réseau de scolarisation tant combattu. On ne mélangeait pas les enfants.
La matière “savoir-être” renvoie à une logique d'éducation du sauvageon, de l'inéducable, de l'inenseignable. »
Selon Choukri Ben Ayed, l'idée sous-jacente est de « sauver les classes moyennes », une partie de la population qui intéresse particulièrement la Fondapol.
« Une fois le peuple parqué, on peut laisser une bonne place à la promotion de la classe moyenne. »
« Une question de loyauté à l'égard du réel »
Dans le bureau parisien de la fondation, à deux pas de la rue Saint-Guillaume et de Science-Po Paris où il enseigne, Dominique Reynié est très surpris qu'on souhaite lui parler du fond : « Cela n'arrive jamais. » S'il avait su, il aurait bloqué plus de temps avec nous.
Il explique que la partie sur l'Education de « 12 idées pour 2012 » a été rédigée en partie par un membre du Conseil d'Etat, Tanneguy Larzul (la partie sur l'autonomie des universités). Sur les autres, notamment l'école fondamentale, il s'est beaucoup impliqué « personnellement » :
« Ce sont mes travaux. Je discute de cette idée avec des professeurs depuis deux ans. C'est une question de loyauté par rapport au réel. Il existe au moins deux écoles en France. Le collège unique est un mythe.
Certains enfants, environ 300 000, pour partie issus de l'immigration ou de la France rurale, ne réussiront pas. On le sait dès la sixième. Ils ont trop de lacunes. A part quelques-uns qui auront ce qu'on appelle des destins d'exception, selon l'expression de Bourdieu. »
Après l'école fondamentale, des filières pros
Pourquoi leur enseigner le français, les mathématiques et la gym ? Pourquoi avoir mis de côté l'anglais ?
« Ça fait partie des choix. Je crois à l'éducation du corps. Et leur difficulté est telle en français, qu'il est difficile de prendre appui sur elle pour apprendre l'anglais. »
Des commissions d'évaluation trimestrielle permettraient de refaire passer les meilleurs en filière générale. Et après l'école fondamentale ? Les étudiants auront accès aux filières professionnelles, dit Dominique Reynié.
Ce dernier pense aussi que ce dispositif facilitera le travail des profs, dans les collèges normaux. « Ces élèves avec d'immenses lacunes gênent les cours. »
A noter, l'idée de la fin du collège unique se rencontre aussi à gauche. En 2001, Jean-Luc Mélenchon jugeait qu'il était une « machine à casser ». Il souhaitait lui une orientation technologique facilitée dès la quatrième.
Dominique Reynié à la Fondapol, le 16 décembre (Audrey Cerdan)
2 L'UMP peut-elle reprendre cette idée dans son programmme ?
Dominique Reynié, qui n'a jamais rencontré le président de la République, explique que la Fondapol l'a influencé une fois. C'est son équipe qui aurait mis « la règle d'or » au centre du débat, l'été dernier. L'idée viendrait d'une note de l'économiste Jacques Delpa, publiée en janvier 2010.
Le programme « 12 idées pour 2012 » a été envoyé à tous les parlementaires, aux cabinets ministériels et à tous les membres du cabinet de Nicolas Sarkozy. « Je pense que cela peut inspirer », dit Dominique Reynié.
La Fondapol fait aussi partie du « Conseil des clubs et des think tanks » réuni par Jean-François Copé, qui a pour objectif d'alimenter les débats en vue de la préparation du programme de 2012.
« Je n'ai jamais vu à l'œuvre tout un processus »
Mais l'influence des think tanks est à relativiser. Dans un article de Mediapart, Marc-Oliver Padis, vice-président, directeur éditorial de Terra Nova, dit :
« Je n'ai encore jamais vu à l'œuvre l'ensemble d'un processus, qui partirait d'une idée et aboutirait à un argument politique ou à une politique publique. Je n'ai encore jamais observé de manière linéaire une fonctionnement à l'anglo-saxonne, où un think tank pousse une idée qui devient un projet de loi. »
Amaury Bessard, fondateur de l'Observatoire français des think tanks, auteur du blog Think Twice, explique que c'est surtout la convergence de plusieurs facteurs qui va permettre à une idée d'émerger. Pour lui, les think tanks sont des acteurs partisans du débat social, qu'il ne faut pas diaboliser.
« Il ne faut pas les prendre pour des anges, ni pour des démons capables d'instrumentaliser le pouvoir. »
« Réagir au collège, c'est un peu tard »
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