Par VÉRONIQUE SOULÉ
Nicolas Sarkozy avait promis de supprimer la carte scolaire : les familles allaient pouvoir choisir l’école de leur enfant et, les meilleurs établissements acceptant désormais les meilleurs élèves venus d’un peu partout, on aurait plus de mixité sociale. En réalité, il n’y a eu qu’un assouplissement, avec beaucoup de dérogations rejetées, des parents déçus, d’autres perdus et plus d’angoisse encore à l’arrivée. Une étude rendue publique hier tire un bilan plutôt sombre de ce qui devait être une mesure phare du quinquennat en matière d’éducation.
«Hiérarchisation». Trois chercheurs de Sciences-Po et du CNRS - Marco Oberti, Edmond Préteceille et Clément Rivière - ont étudié, dans Paris et sa banlieue, où le choix de l’école est un enjeu sensible, les effets de la libéralisation de la carte scolaire décrétée après l’élection de 2007 et appliquée à partir de 2008. Ils se sont surtout concentrés sur deux départements aux profils très différents - la Seine-Saint-Denis, le plus pauvre et le plus jeune de France - et les prospères Hauts-de-Seine.
Les chercheurs confirment d’abord ce que les dernières études - de la spécialiste Nathalie Mons et de l’Ecole d’économie de Paris - ont pointé : lancé à grand renfort de publicité, l’assouplissement de la carte scolaire n’a eu que des effets limités sur le terrain. Contrairement à certaines prédictions, les élèves «méritants» n’ont pas déserté les collèges stigmatisés pour en rejoindre de plus réputés, provoquant des fermetures massives d’établissements. Et les dérogations n’ont pas explosé, pour une raison simple : la proximité étant restée prioritaire - chaque élève a droit à une place dans le collège le plus proche -, les établissements les plus convoités étaient souvent déjà pleins et ils ne pouvaient guère accepter d’élèves supplémentaires.
Outre la liberté des familles, la réforme se fixait un objectif d’équité sociale. Avec la carte scolaire, soulignait Nicolas Sarkozy, seuls les parents informés et éduqués, jouant de leurs réseaux et au fait des magouilles, arrivaient à inscrire leurs enfants dans les meilleures écoles. En fixant des critères clairs de dérogation, avec notamment une priorité aux boursiers, on allait donner des chances égales à tous… En réalité, soulignent les chercheurs, «les familles populaires les plus précaires n’ont pas massivement demandé de dérogations», trouvant la procédure compliquée ou craignant de scolariser leurs enfants trop loin. Pis, ajoutent les chercheurs, «la part des demandes justifiées par le critère social, relativement modeste dès le départ, a nettement diminué au fil du temps au point de devenir presque marginale».
Malgré leur nombre faible, après plusieurs années, ces dérogations toujours dans le même sens - d’un «collège répulsif», fréquenté par des publics populaires et-ou immigrés, à un «collège attractif», aux publics favorisés - ont eu un effet : elles «ont accentué la hiérarchisation des établissements».
Course. Et les écarts de niveaux (social et scolaire) se sont creusés entre les extrêmes. Même en Seine-Saint-Denis, qui ne compte pourtant que des collèges populaires, on a vu apparaître une forme de concurrence entre ceux traînant de mauvaises réputations plus ou moins fondées et les autres, apparaissant plus rassurants.