In Venividipolitis
venividipolitis, publie le compte rendu de la conférence de Eddy Kahldi
Conférence organisée le 06/04/2011 par le Cercle Condorcet de Roanne en collaboration avec la Ligue de l’Enseignement et le Cercle Philosophique des Ecossais Roannais
L’école publique, laïque, ses enjeux
Ce compte-rendu a été réalisé par un membre du Cercle Condorcet. Son contenu n’engage, en aucun cas, la responsabilité de Monsieur Eddy Khaldi
Présentation
B. Furnon rappelle que cette conférence a été organisée par le Cercle Condorcet en collaboration avec la Ligue de l’Enseignement et le Cercle Philosophique des Ecossais Roannais.
Il remercie toutes les personnes présentes et se réjouit d’accueillir une assistance aussi nombreuse.
Il excuse Madame le Maire de Roanne, Madame Riamon, Madame Viboud.
Monsieur le Maire de Riorges est représenté par Monsieur Chaudagne.
M. Eddy Khaldi, enseignant, est coauteur du livre « Main basse sur l’école ».
Cette conférence prévue en 2010 n’avait pu se tenir en raison du mauvais temps mais le hasard « fait parfois bien les choses » puisque non seulement il fait beau mais aujourd’hui même, la laïcité est utilisée à des fins politiciennes. L’école publique est attaquée de toutes parts, l’enseignement catholique n’a jamais été autant favorisé. Quelle est la motivation du pouvoir ?
P. Meirieu recommande la lecture du livre «Main basse sur l’école» car, dit-il «La guerre solaire n’est pas de l’histoire ancienne, elle se déroule aujourd’hui sous nos yeux. Nous sommes aujourd’hui devant un choix décisif : nationaliser l’enseignement privé ou privatiser l’enseignement public»
M. Eddy Khaldi
Aujourd’hui, la laïcité est au cœur de l’actualité alors que dans les années 80-85, il s’agissait « d’une vieille lune pour esprit attardé ». En 2011, la laïcité est tendance, moderne, « fun ».
Pourtant cette notion a évolué fondamentalement car si hier elle ne s’intéressait qu’exclusivement à la question scolaire, aujourd’hui la laïcité concerne tous les aspects de la société, elle est sortie du champ scolaire.
Evoquer l’enseignement privé, c’est essentiellement parler de l’enseignement catholique puisque cette institution possède 95% des établissements privés.
Sur la notion de laïcité aujourd’hui, personne n’est dupe. Cette valeur républicaine constitue un argument prétexte de la course électorale entre la droite au pouvoir et l’extrême droite.
Si on fait un bref retour en arrière, les élections présidentielles de 2002 se situent un an après le 11 septembre 2001, aussi toutes classes politiques confondues revendiquent la laïcité. François Bayrou l’a dénoncée mais il s’y rallie en 2002. Christine Boutin dans son livre « Les larmes de la République » : « je suis très attachée à la laïcité qui est une richesse de la République ».
Laïcité, une notion à géométrie variable.
On la convoque surtout pour lutter contre l’islam. Il faut donc dénoncer cette falsification, cette usurpation.
La laïcité, c’est :
-le primat de la liberté de conscience sur la liberté du culte.
-l’égalité entre les citoyens croyants et non croyants.
-la neutralité de l’Etat.
Or aujourd’hui, on assiste à beaucoup de dérives dont la plus grave -elle nie l’idée de laïcité- est la reconnaissance institutionnelle des religions. Une expression peut résumer la situation actuelle : en France, nous n’acceptons que « la laïcité catholique ».
*Nicolas Sarkosy glorifie la supériorité du curé, du pasteur sur l’instituteur.
*Jacques Chirac a lui aussi manifesté sa reconnaissance à l’égard de l’église catholique.
*En son temps, la gauche a connu les mêmes dérives. Des réunions discrètes ont eu lieu entre L. Jospin et l’église catholique.
*En 1987, fin de la laïcité fiscale. La défiscalisation des dons aux associations religieuses revient indirectement à un subventionnement de l’Etat.
*Au cœur du Service Public, au sein de la fonction régalienne de l’Etat, il existe une association de juristes catholiques : La Confédération des Juristes Catholiques de France (CJCF) dont la Charte est « Dieu est le fondement du Droit ». Le premier de ses principes d’action est l’attachement indéfectible à « la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine ».
*En octobre 2005, le ministre de l’Intérieur a confié au professeur J.P. Machelon la mission d’élaborer « les ajustements législatifs et réglementaires à apporter à la loi de 1905 » de nature « à répondre aux attentes des représentants des grandes religions ». Il s’agissait de prévoir le remariage des églises et de l’Etat. Le rapport Machelon constitue une offensive sans précédent contre la laïcité.
*La Fondation de service politique a été créée en 1992 par des universitaires et des responsables du monde politique et économique, pour en faire un « laboratoire d'idées » dont l'objectif est d'inviter « les chrétiens de tous horizons à promouvoir les valeurs fondatrices de la civilisation judéo-chrétienne ».
Pour la fondation, la liberté d’éducation est la suivante : « Premiers responsables de l’éducation de leurs enfants, les parents ont le droit de choisir pour eux une école qui correspond à leur propres convictions. Ce droit est fondamental. Les parents ont, autant que possible, le devoir de choisir les écoles qui les assisteront au mieux dans leur tâche d’éducateurs chrétiens. Les pouvoirs publics ont le devoir de garantir ce droit et d’assurer les conditions réelles de son exercice. » Catéchisme de l’Église catholique, 2229
Dans cette fondation, nous retrouvons les hommes politiques tels que Philippe De Villiers, Christine Boutin.
* « La République, les religions, l'espérance » ouvrage de Nicolas Sarkozy est constitué d’entretiens avec Thibaud Collin et Philippe Verdin. Ce dernier est une antenne de l’Opus Dei.
L’école un enjeu plus que jamais
La question scolaire a disparu du débat. Elle est réapparue en 2004 avec la loi sur les signes religieux mais on assiste à une véritable omerta sur la question public/privé.
Les laïcs d’aujourd’hui sont de nouveaux convertis. Dans les années 85/86, la laïcité est devenue moderne, ouverte, positive. Chacun lui ajoute un qualificatif pour la définir à son idée.
« Le triomphe de l’équivoque », texte que j’ai écrit, sera publié prochainement dans le Monde Diplomatique. La laïcité est traitée au regard des religions. L’église catholique est devenue experte en laïcité. Au niveau institutionnel, cette laïcité est déstructurée.
Bref rappel historique :
La séparation entre l’église et l’école remonte à 1880. Les lois Jules Ferry sous la Troisième République, rendent l'école gratuite (1881), l'éducation obligatoire et l'enseignement public laïc (1882). Une école gratuite parce que obligatoire, une école laïque parce que obligatoire. Cette séparation de l’église et de l’école précède la séparation de 1905 des églises et de l’Etat : primat de la liberté de conscience et neutralité de l’état en matière religieuse.
Aujourd’hui, l’évolution sur la question scolaire est importante.
Dans les missions que l’on assigne à l’école, le débat n’est pas ouvertement affiché.
Dans les années 1830, avant la loi Guizot le débat qui avait lieu dans la société sur les missions de l’école pouvait se lire entre deux lignes :
-
l’école un outil économique pour les besoins immédiats de l’entreprise. Certains pouvaient même contester l’obligation scolaire qui risquait de détourner les jeunes des métiers de l’agriculture (Thiers). L’école est le moyen de former un travailleur. Elle doit être gérée sur « le mode commercial »
-
l’école est une question de société. Elle forme un citoyen patriotique. Elle est de conception sociale. Avec la loi Guizot on crée les écoles normales départementales
Aujourd’hui, on retrouve ces deux logiques.
-
la logique commerciale : position de la droite, valeurs de rentabilités économiques.
-
la logique sociale : assurer le vivre ensemble, position de la gauche, valeurs humanistes.
Ce débat n’est jamais posé sur la place publique ; il reste souterrain mais néanmoins il existe.
Lorsque le livre « Main basse sur l’école » est paru, au nom de l’austérité, une foule de mesures de rigueur ont frappé l’école publique en épargnant l’école privée ou plutôt en lui accordant des faveurs non dissimulées ; ainsi donc l’école catholique a acquis un nouveau statut beaucoup plus favorable ces dernières années.
Le gouvernement a réussi à conforter le réseau de l’enseignement catholique, discrètement sans en annoncer la couleur.
On peut affirmer que les démarches libérale et cléricale se confond aujourd’hui.
Le triomphe de l’équivoque
La loi Debré du 31 décembre 1959, « triomphe de l’équivoque » introduit la confusion institutionnelle au travers de concepts flous, ambigus ( « caractère propre », « besoin scolaire reconnu », « liberté d’enseignement » et aujourd’hui « parité »), taillés sur mesure pour les tenants d’une logique séparatiste et cléricale.
Il s’agit véritablement d’une brèche contre la séparation institutionnelle de l’église et l’Etat.
« …, la loi Debré inscrit le projet de l'Enseignement catholique dans la réalité républicaine et sociétale, en garantissant à tous ceux qui le souhaitent le droit de choisir un établissement privé ». APPEL
Un paradoxe à relever : l’enseignement catholique progresse car de plus en plus aidé, favorisé, subventionné alors que dans le même temps la pratique dans la religion catholique connaît un déclin sans précédent.
On a tendance à affirmer à tort que la laïcité est une exception française. Dans d’autres pays d’Europe la laïcité est respectée dans une pratique différente de la nôtre.
En France, en effectifs, l’enseignement privé représente plus du tiers de l'effectif total des 27 pays de tradition catholique. Ceci est révélateur de la densité du réseau d’établissements privés en France.
L’Italie, le Portugal, la Pologne, ne financent pas l’enseignement catholique.
Aujourd’hui, l’enseignement privé catholique est sur-représenté. La marchandisation de l’école ajoutée à l’évangélisation sur le long terme conduisent à ce que l’usager prime sur le citoyen. Depuis les années 95, on assiste à un glissement progressif vers une individualisation du rapport à l’école. Les mesures gouvernementales vont dans ce sens : suppression de la carte scolaire, concurrence entre les établissements. Il faut séparer l’école de l’Etat. Cette attaque n’est pas frontale, mais elle est conduite par des transferts successifs.
Un exemple, la suppression des IUFM. Dans ces lieux de formation, la laïcité avait sa place. Cela peut nous rappeler que Pétain avait en son temps supprimé les Ecoles Normales. On supprime les IUFM mais parallèlement, on maintient les centres de formation de l’enseignement catholique.
Autre exemple, accord Vatican-Kouchner : Le 18 décembre 2008, la France et le Vatican signent un accord sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur. C'est la fin du monopole de l'État dans l'attribution des diplômes de l’Université. En 1875, si la IIIe République avait proclamé la liberté de l’enseignement supérieur, elle avait très vite, dès 1880, à l’initiative de Paul Bert et Jules Ferry, réservé l’attribution des titres universitaires aux seules universités publiques. En 1984, le Conseil d’État avait en outre consacré le caractère constitutionnel du monopole d’État de l'attribution des grades universitaires. Mais finalement, que vaut la Constitution... devant Dieu ?
Cet accord s’est fait dans un silence médiatique presque total. On ne veut plus remettre sur la table le débat public/privé. Après les concessions et complaisances de Pétain à l’égard de l’enseignement catholique, les laïcs pouvaient croire, au lendemain de la guerre, à une paix scolaire retrouvée mais il n’en fut rien. Dans son livre « La laïcité », Jean Cornec évoque « mon pays à l’heure cléricale ».
Les votes des lois Marie et Barangé en 1951, après le décret « Poinso Chapuis » de 1948 ouvrent des brèches qui permettront à la loi Debré de 1959 le versement incessant de fonds publics vers les établissements d’enseignement privé.
Aujourd’hui, personne, homme politique de droite ou de gauche ne revendique le principe école publique fonds publics, école privée fonds privés. Pourtant ce principe existe juridiquement ; cependant, à chaque interdiction existe une dérogation pour contourner la loi. (loi Gobelet, loi Falloux)
La loi Carle de décembre 2008 institue une obligation de financement sans accord préalable pour un élève inscrit dans une école privée hors de sa commune de résidence. Ce nouveau texte vise à « garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat ». Il ouvre un débat idéologique plus que politique. On entre tout à fait dans une logique commerciale, celle de la relation de l’usager par rapport à sa commune.
La République joue contre son camp
Ce que la droite n’avait jamais osé faire, aujourd’hui elle le fait explicitement, très clairement.
* En 1971, Olivier Giscard d’Estaing fait paraître « Education et Civilisation ». Cet ouvrage annonce pratiquement tout ce qui se fait depuis 2007. « L’enseignement catholique est un héritage de l’histoire ; ce sera le cheval de Troie du libéralisme scolaire. »
* En 1994, Bayrou propose une réforme de la loi Falloux, qui aurait déplafonné la possibilité, pour les collectivités locales, de subventionner les investissements des établissements d’enseignement privé. Cette tentative échoue en raison de la forte mobilisation pour défendre l’école publique. Pour cette réforme, le ministre est entouré de Darcos, Bourgeois, Dominique Antoine. Ces personnes, en finançant la construction d’établissements privés, organisaient la concurrence.
* Dès 1992, Darcos et Bourgeois ont participé à l’association « créateurs d’écoles » qui s’est donné comme objectif d'imaginer un statut permettant plus d'autonomie à des établissements scolaires.
* Le Club de l'Horloge, est une association, plus précisément « un cercle de réflexion politique » d'orientation libérale conservatrice qui a été créé en 1974. Cette association réunit des personnes de droite et d’extrême droite (Front National). Elle marque profondément les choix politiques du gouvernement. Ainsi en matière scolaire, elle est favorable aux écoles privées. En 1984, elle est à l’origine de la grande manifestation de défense de l’école privée à Paris.
* Emmanuelle Mignon, entre mai 2007 et juillet 2008, fut directrice du cabinet du président de la République, puis elle a été nommée conseiller auprès du président de la République, avant de retourner au Conseil d'État. On peut lire dans le Monde : « J'ai toujours été conservatrice, j'aime l'ordre. Je crois à l'initiative individuelle, à l'effort personnel et, en matière économique, à la main invisible du marché ». La même année, elle se déclare favorable à une privatisation totale de l’éducation nationale.
* Au cœur même de l’éducation nationale, on peut retrouver tous ceux qui ont participé à son démantèlement. Si aujourd’hui, dans le gouvernement, ils n’occupent plus les postes, leurs idées restent. Ces idées sont mises en route derrière un écran de fumée. D’autres ministres assurent la promotion de l’enseignement privé. La communication actuelle dénonce un système éducatif très inégalitaire et coûteux. Or on sait que les systèmes les plus performants sont ceux où il n’y a pas de concurrence. Lorsque des groupes de pression revendiquent pour l’enseignement privé, il accentue l’inégalitarisme et le coût de la scolarité.
* En 2011, création d’un groupe d’études sur l’enseignement privé sous contrat et hors contrat à l’Assemblée sous la présidence de Valérie Boyer, et regroupant plus de 90 députés. La réflexion de ce groupe porte sur les subventions publiques pouvant être accordées aux dépenses d’investissement des établissements privés, sur les emplois attribués à l’enseignement privé. Un rapport avec propositions concrètes sera communiqué pour le prochain budget.
* Afin d’accentuer la concurrence public/privé, l’enseignement catholique envisage d’implanter des classes hors contrat au sein d’établissements sous contrat, en particulier des classes maternelles. Il s’agit de « ratisser » plus large. Le secrétaire général de l’enseignement catholique s’exprime sur les jardins d’éveil : « il faut évangéliser les jeunes de 18 mois et en deçà ».
* A Paris, 14 crèches Lubavich sont subventionnées par le conseil de Paris.
Ce constat est révélateur du privilège dont jouissent certaines religions par rapport à d’autres.
Le débat est indispensable
La parité : ce ne sont pas que des subventions mais ce sont aussi des obligations contraignantes. On ne peut accepter les moyens accordés et se réfugier ensuite derrière la liberté d’enseignement.
La liberté d’enseignement, -notion à préciser- n’est pas la liberté d’entreprise, c'est-à-dire ouvrir une école et réclamer ensuite des fonds publics. Cette liberté s’inscrit dans un cadre législatif. La liberté d’enseignement est le droit pour un citoyen de choisir son enseignement qu’il soit public ou privé ou à domicile. Il y a cependant une condition supplémentaire car l’Etat, de par la Constitution, a obligation d’assurer le service public d’éducation, laïque et gratuit. Donc il n’y a pas d’obligation de financement des établissements privés.
La notion de caractère propre est le moyen de contourner la loi de 1905 : « la loi ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte ». Explicitement, le Président reçoit et traite directement avec le secrétaire national de l’enseignement catholique.
Le chèque éducation est un mode de financement de la scolarité. Ces chèques peuvent être utilisés par les parents dans l'école de leur choix. Pour l’enseignement catholique, ceci est un moyen de détourner les fonds publics ; mais cette proposition a pour principal effet de supprimer le service public d'éducation et de générer une ségrégation sociale accrue.
Depuis longtemps la loi Debré n’existe plus. Elle a ouvert les portes aux tenants d’une logique séparatiste et cléricale. Nous nous trouvons devant une institutionnalisation du cléricalisme scolaire.
L’Etat se fait concurrence à lui-même. Il finance un réseau dont il n’a pas le contrôle. Toutes ces dérives ne sont pas soulevées au moment où on parle quotidiennement de laïcité.
L’école publique forme un citoyen autonome et responsable. Il existe donc un principe essentiel à revendiquer en réponse au discours de notre Président de la République :
« L’instituteur est supérieur au curé parce qu’il accueille dans la même communion du vivre ensemble »
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Pour compléter l’exposé signalons 2 textes de Eddy Khaldi que l’on peut consulter sur internet :
http://sauvons-lecole.over-blog.com/article-reconquete-clericale-50234687.html
http://www.eglise-et-ecole.com/de-l%E2%80%99equivoque-au-liberalisme/