par le Bâtonnier Francis LEC
Avocat-Conseil de la FAS & USU
Lorsque les services juridiques de l’Education Nationale mirent au point le logiciel « base élèves pour le 1er degré », ils considéraient qu’il s’agissait de transposer dans le primaire un système similaire qui s’applique dans le second degré depuis plusieurs années.
I – POUR L’EDUCATION NATIONALE : UN DISPOSITIF DE SIMPLE GESTION MIS EN PLACE AVEC « LES MEILLEURES INTENTIONS »
Lorsque les services juridiques de l’Education Nationale mirent au point le logiciel « base élèves pour le 1er degré », ils considéraient qu’il s’agissait de transposer dans le primaire un système similaire qui s’applique dans le second degré depuis plusieurs années.
Pour le Ministère « base élèves » est donc une simple application d’aide à l’inscription des élèves et à la gestion pour les directeurs d’école et les maires des communes où les enfants sont inscrits.
« base élèves » qui se présente sous la forme d’un système de saisie et de gestion informatique par internet de tous les élèves des écoles maternelles et élémentaires est donc présenté comme un simple instrument des actes de gestion qui ne devrait entraîner aucune difficulté ou polémique.
Il renferme, selon le Ministre, des éléments tout à fait traditionnels sur les données familiales, les personnes à contacter d’urgence, l’adresse, le n° de téléphone des familles etc…
Si les données sont stockées dans une base académique, aucune administration extérieure ne pourra y accéder. Seuls les maires peuvent demander à utiliser cette application comme il en existe déjà dans d’autres grandes villes. En outre les données nominatives sont visibles jusqu’au niveau de l’Inspection Académique et anonymées de façon irréversible au niveau du Rectorat et de l’administration centrale.
En 2007 près de 80 départements français utilisaient ce fichier qui contient :
- l’identifiant national de l’élève
- l’état-civil de l’enfant : les données obligatoires étant le nom, le prénom, la civilité et le sexe, la date et le lieu de naissance, la commune et le département.
- l’état-civil des responsables légaux, leur nom, leur prénom et leur adresse,
- les besoins éducatifs particuliers
- le cursus scolaire qui contient le nom de l’école, le niveau, le cycle, les compétences acquises et les groupes d’enseignement.
Ainsi l’Education Nationale estime que ce dispositif de gestion est mis en place sur toute la France avec les meilleures intentions du monde…
Cet outil vise, selon elle :
- à être une aide à la gestion des élèves pour les directeurs
- un partage des données en temps réel entre les mairies et les directeurs d’école
- à assurer un suivi du parcours et de la scolarité des élèves
- à faciliter le travail administratif du directeur d’école et les échanges d’informations entre les inspecteurs de circonscription et les inspecteurs d’Académie.
Considérée comme une mesure administrative cette base élèves n’a pas pour l’Education Nationale à être sanctionnée par une loi, l’avis de la CNIL étant alors seul nécessaire préalablement à sa mise en oeuvre.
Le fichier a été déclaré sans grandes objections à la CNIL le 24 décembre 2004.
II – UN AVIS MITIGE MAIS GLOBALEMENT FAVORABLE DE LA CNIL
Interrogée régulièrement sur les fichiers des élèves du 1er degré dit « base élèves » la CNIL a confirmé qu’en 2004 le Ministère de l’Education Nationale lui a déclaré la mise en oeuvre d’une application informatique à caractère personnel dénommée « base élèves 1er degré » pour laquelle un récépissé a été délivré. ; depuis une modification de la loi intervenue dans le courant du mois d’août 2004 ce dispositif n’est cependant plus soumis à son avis préalable.
Pressée de toutes parts la CNIL dans une mise au point intervenue le 22 avril 2007 rappelle que le système « base élèves 1er degré » a pour finalité la gestion administrative des élèves concernant leur inscription, leur admission, leur non fréquentation, la répartition dans les classes, le suivi des effectifs de la scolarité, le pilotage pédagogique et le suivi du parcours scolaire de la maternelle à l’entrée en 6e.
Elle constate qu’un système identique de gestion et de pilotage existe depuis 1995 pour les élèves du second degré et que dans ces conditions l’inscription scolaire étant obligatoire pour les enfants jusqu’à 16 ans, les parents ne peuvent s’opposer à ce dispositif concernant leur enfant.
Elle rappelle en outre que la mise en oeuvre de la « base élèves 1er degré » associe plusieurs acteurs, à savoir : les directeurs d’école, les inspecteurs de l’Education Nationale, les inspecteurs d’Académie et les Maires, ces derniers étant chargés du contrôle de l’obligation scolaire et de la gestion des inscriptions et personne d’autre…
Il en résulte pour la CNIL que les Maires sont donc habilités à accéder à des données concernant les enfants en âge scolaire résidant dans leur commune relatives à l’identité de l’enfant, nom, prénom, sexe, date et lieu de naissance, adresse, et à celles de son responsable légal. Elle indique que ces informations ne sont pas nouvelles pour les Maires puisque depuis 1991 une norme simplifiée adoptée par la CNIL prévoit la collecte de ces catégories d’informations à leur bénéfice.
La CNIL rappelle également que les données relatives à la nationalité, à l’année d’arrivée en France de l’enfant, et aux coordonnées de l’employeur des parents ne sont pas transmises aux Maires, ces informations n’ayant aucun caractère pertinent à leur égard ; la commission nationale précise que la collecte de l’information sur la nationalité des élèves est destinée uniquement à l’élaboration de statistiques anonymes par le Ministère de l’Education Nationale.
Elle se montre toutefois méfiante puisque qu’elle précise qu’elle a interrogé le Ministère sur les modalités exactes selon lesquelles cette information est exploitée ainsi que sur la nomenclature des nationalités utilisée. Elle constate enfin que la fiche individuelle de renseignements adressée par le Directeur d’école aux parents rappelle que conformément aux articles 39, 41,42 de la loi du 6 janvier 1978 ils peuvent avoir accès aux informations du fichier les concernant et en obtenir communication
En définitif tout en considérant qu’elle n’a pas à exercer un véritable contrôle sur ces « bases élèves » la CNIL, considère que le dispositif n’est pas attentatoire aux droits des parents et de leurs enfants.
III – DES RISQUES DE DERIVE EN RELATION AVEC LA LOI DU 5 MARS 2007 :
Cet avis et ces précautions de la CNIL ne sont pas satisfaisants pour un certain nombre d’organisations.
C’est ainsi que dans une résolution adoptée le 2 juin 2007 l’assemblée générale des délégués départementaux de l’Education Nationale s’oppose à la mise en place de cette base.
«Autant paraît légitime tout outil de gestion mentionnant pour chaque élève : nom, prénom, date et lieu de naissance, filiation, adresse et classe suivie, autant est à refuser l’inscription de toute donnée concernant la nationalité, la date d’entrée sur le territoire et la langue d’origine car la scolarité est de droit pour tout enfant résidant dans la commune indépendamment de ces critères ;
Relevant du secret professionnel comme le suivi psychologique et les besoins éducatifs obtenus par échanges confidentiels entre parents, enseignants, médecins scolaire et autres membres d’organismes appelés à aider l’enfant »
A n’en pas douter la mise en oeuvre de ces dispositions soulève de grandes difficultés. Des enseignants et des parents d’élèves y voient une manière de contrôler désormais la présence des enfants scolarisés alors même que leurs parents ne disposent pas de titre de séjour sur le territoire français…
D’autres estiment que la confidentialité d’un tel fichier n’est absolument pas garantie en dépit des déclarations formelles de l’Education Nationale. Ils affirment que sous le prétexte de sécurité ce fichier pourrait devenir un relais de l’application directe de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.
Il importe à cet égard de rappeler quelques dispositions importantes de la loi du 5 mars 2007
A – ECHANGE DES FICHIERS ENTRE L’EDUCATION NATIONALE ET LES MUNICIPALITES POUR CONTROLER LE RESPECT DE L’OBLIGATION DE SCOLARISATION :
L’article L 131-6 du Code de l’Education est désormais rédigé :
« afin de procéder au recensement prévu et d’améliorer le suivi de l’obligation d’assiduité scolaire le maire peut mettre en oeuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel où sont enregistrées les données à caractère personnel relatives aux enfants en âge scolaire domiciliés dans la commune qui lui sont transmises par les organismes chargés du versement des prestations familiales ainsi que par l’Inspecteur d’Académie et par le directeur ou la directrice de l’établissement d’enseignement ainsi qu’en cas d’exclusion temporaire ou définitive de l’établissement ou lorsqu’un élève inscrit dans l’établissement le quitte en cours ou en fin d’année. »
Il est encore indiqué que lorsque le directeur ou la directrice de l’établissement d’enseignement saisit l’inspecteur d’Académie afin que celui-ci adresse un avertissement aux personnes responsables de l’enfant en cas d’absentéisme, il en informe le Maire de la commune dans laquelle l’élève est domicilié il communique au Maire la liste des élèves domiciliés dans la commune pour lesquels un avertissement a été notifié.
B- LES CRAINTES CONFIRMEES PAR L’INTERPRETATION DE CERTAINS INSPECTEURS D’ACADEMIE :
A ceux qui considèrent que le logiciel « base élèves » n’aurait aucune base légale, l’Inspecteur d’Académie de la Haute-Garonne dans une lettre en date du 22 avril 2008 s’est directement référé à la loi du 5 mars 2007 qui donne la possibilité de mettre en oeuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel afin de procéder au recensement des élèves résidant dans la commune et soumis à
l’obligation scolaire, permettant par ailleurs d’améliorer le suivi d’assiduité scolaire qui pèse sur le Maire et sur les services académiques.
C –UNE INCERTITUDE SUR LA MAITRISE TOTALE DES FICHIERS :
Il est important également d’observer que ces dispositions qui sont insérées à l’article L 131-6 du Code de l’Education ont fait l’objet d’un décret du 14 février 2008 qui avait été soumis à l’avis de la commission nationale de l’informatique et des libertés. Celle-ci dans une délibération du 10 juillet 2007 a fait quelques commentaires sur le futur décret qui en disent long sur l’absence de maîtrise totale des fichiers qui sont ainsi mis en place.
La CNIL exprime quelques inquiétudes « en termes choisis » : compte tenu de la sensibilité des données transmises, la commission estime que le projet de décret devrait préciser qu’en cas de transmission par voie électronique celles-ci devraient être sécurisées… la commission prend acte qu’aucune donnée relative au suivi des mesures à caractère sociale ou éducatif n’a vocation à figurer dans le traitement… Elle prend acte également de ce que le Maire n’a pas connaissance des motifs d’absentéisme ni de ceux pour lesquels des mesures à caractère disciplinaire ont été prises…
La commission a toutefois relevé que le décret devrait être complété sur les mesures à prendre pour assurer la sécurité des traitements et la confidentialité des données, notamment à l’occasion de leur transmission par les organismes chargés du versement des prestations familiales. De même elle a attiré l’attention sur la nécessité pour les différents acteurs concernés d’informer les personnes sur les transmissions d’informations les concernant…
Quoique ces recommandations n’aient pas concerné directement « la base élèves » elles permettent de mesurer l’impérieuse nécessité pour l’Education Nationale d’apporter des garanties sur le maniement confidentiel de ces fichiers, ce qui est loin d’être le cas.
On devra prendre également en considération l’avis du comité consultatif national d’éthique
A – Pour le syndicat de la Magistrature : protéger l’enfant
Certains parents, comme certains directeurs d’école considèrent que la mis en place de cette base élèves peut-être contraire à la convention de New York du 26 janvier 1990 et à l’article 9 du Code Civil ; Un des syndicats de Magistrats exprime les mêmes craintes ; outre les dispositions de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui sanctionne toute atteinte à la vie privée il est également fait référence à la Convention de New York du 26 janvier 1990 qui stipule dans son article 16 :
« que nul enfant ne fera l’objet d’immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, d’atteinte illégale à son honneur et à sa réputation. L’enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »
De la même manière l’article 9 du Code Civil énonce :
« chacun a droit au respect de sa vie privée, les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommages subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée ; ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé. »
B - LE CONSEIL MUNICIPAL DE GRENOBLE EXIGE LE RETRAIT DE « LA BASE ELEVES »
L’ Inspecteur d’Académie de l’ISERE vient par une lettre du 13 mars 2008 de sanctionner un directeur d’école élémentaire qui refusait de participer à la formation sur le logiciel « Base élèves » à laquelle il avait été invité.
Il s’agit à l’évidence d’une décision « déraisonnable » qui a soulevé la réprobation de certains conseils municipaux et en particulier celui de Grenoble.
En effet le conseil municipal de Grenoble dans sa séance du 4 avril 2008 a adopté un voeu relatif au fichier « base élèves » en s’exprimant de la manière suivante :
« à ce jour la procédure de mise en place de ce logiciel se poursuit sans que des garanties réelles aient été apportées aux parents ou aux enseignants, notamment sur la conservation des données ou la capacité de croiser ce fichier à des fins autres que scolaires.
Depuis septembre 2007 l’Inspection d’Académie sur consigne du ministère de l’Education Nationale obligé les directeurs qui ne sont pas volontairement manifesté à utiliser « base élèves ». Des formations à utilisation du logiciel leur son imposées et des retenues sur salaires sont opérées lorsqu’ils refusent de participer à ces séances de formation.
Compte tenu de ces éléments et de l’opposition manifeste provoquée par ce logiciel, tant auprès des équipes enseignantes que des parents d’élèves, le conseil municipal de Grenoble demande à nouveau l’abandon par l’Education Nationale du ficher informatique centralisé « base élèves ».
La Maire de cette ville qui est par ailleurs Président de l’association des Maires des grandes villes de France vient de saisir le Ministre pour lui demander de remettre à plat tout ce dossier.
CONCLUSION
La vive polémique soulevée par la mise en place dans le primaire de la « base élèves » nécessite que celle-ci soit revue dans son application par le Ministre de l’Education Nationale ; trop d’incertitudes et d’inconnues subsistent sur l’utilisation et le devenir de telles informations. Il est indispensable que la CNIL soit à nouveau saisie pour vérifier que cette « base élèves » ne soit pas
détournée de sa mission scolaire et ne soit pas utilisée pour des raisons dites de sécurité intérieure au détriment des familles et des enfants.
A défaut d’être revue par l’Education Nationale les familles doivent bénéficier d’un droit absolu sur les données recueillies sur leur enfant et leur famille et être en mesure de s’y opposer ou de les faire modifier en cas de besoin.
Les sanctions déraisonnables et disproportionnées qui accompagnent enfin dans certaines académies les résistances à la mise en place de cette « base élèves » doivent être annulées par le Ministre voire par les juridictions administratives.
Enfin d’une manière générale si la culture informatique s’impose désormais dans la vie quotidienne de chacun, ses utilisations doivent être encadrées strictement par la loi. Plus que jamais les enfants, et d’une manière générale les mineurs doivent pouvoir échapper à cette folie du fichage, ce qui n’est plus le cas. On rappellera à cet égard que s’agissant des fichiers de police les mineurs sont fichés comme les majeurs, notamment dans le FAED ( Fichier des Empreintes Digitales), dans le STIC ( Système de Traitement des Infractions Constatées), le FIJAIS ( Fichier des Auteurs d’Infractions Sexuelles), ou le FNAEG ( Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques)
On comprend que les éducateurs soient réticents et contestent la légitimité du dispositif « base élèves », leur résistance vient d’ailleurs d’être légitimée par un volte-face du Ministre de l’Education Nationale qui, dans une lettre à la Présidente de la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public, vient de décider que la profession et la catégorie sociale des parents, la situation familiale de l’élève, l’absentéïsme signalé, ainsi que les données relatives aux besoins éducatifs particuliers ne feront plus partie du périmètre des données collectées dans le logiciel « BASE ELEVES DANS LE 1er DEGRE »
qui estime que cette informatisation et cette centralisation représentent un risque majeur qui doit être rejeté : « le croisement de bases de données, les unes administratives, les autres ayant trait à la santé, peut entraîner de graves discriminations dans le domaine des assurances ou de l’emploi… la généralisation excessive de la biométrie et l’utilisation croissante des procédés d’identification n’a plus seulement pour but de décrire l’individu, mais de définir, de savoir qui il est, ce qu’il fait et ce qu’il consomme… »
IV – UNE MISE EN PLACE CONTESTEE AUSSI PAR DES MAGISTRATS ET DES ELUS :
Un mouvement de protestation de parents d’élèves et d’enseignants agite depuis plusieurs semaines certains départements de France et en particulier celui de l’Isère. Il rappelle que les données concernant les élèves circulent sur internet et ne sont toujours pas sécurisées. Qu’il n’y a aucune garantie pour les parents concernant l’évolution de ce fichier et que si les mots « nationalité et date d’entrée en France » ont été supprimés fin 2007 ils ont été remplacés par « pays de naissance »…
Ils estiment que « base élèves » ne répond en rien aux besoins des élèves mais peut conduire à une rupture de confiance entre les parents et les enseignants.
Leur protestation n’est pas isolée et trouve un écho auprès des Magistrats et des élus.