La motion adoptée par l’Assemblée de CorseCONSIDERANT que les enfants et les jeunes constituent une richesse fondamentale pour toute société et que le rôle des adultes et des institutions publiques est de les protéger et d’offrir à chacun d’eux la possibilité de grandir de façon sereine ainsi qu’une éducation adaptée pour devenir des adultes et des citoyens responsables et épanouis,
CONSIDERANT que le ministère de l’Education nationale développe et impose de nombreuses applications informatiques permettant le recueil et la conservation de données sur les élèves et leurs familles, malgré l’opposition de celles-ci et les inquiétudes exprimées par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, dans son rapport du 12 juin 2009, relatives à « la multiplication des bases de données dans lesquelles des données concernant les enfants sont collectées, stockées et utilisées pendant de longues périodes »,
CONSIDERANT que la mise en place de ces collectes de données nominatives s’effectue sans la législation et l’information nécessaires, et souvent en contradiction avec les lois en vigueur, notamment la loi 78-17 dite « Informatique et libertés », ainsi que l’a montré le Conseil d’état dans ses deux arrêts du 19 juillet 2010 relatifs à la Base élèves 1er degré (BE1D) et à la Base nationale des identifiants élèves (BNIE),
CONSIDERANT que l’immatriculation des enfants dès la maternelle dans la BNIE et l’instauration d’une traçabilité des parcours individuels au travers du Livret personnel de compétences (LPC) sont dangereuses pour les libertés publiques et contraires à la mission de l’école qui est d’accueillir tous les enfants sans conditions, pour leur donner accès aux savoirs et à la culture, accompagner la construction de leur personnalité et de leur citoyenneté,
CONSIDERANT qu’une telle architecture de base de données personnelles, aisément interconnectables grâce à un Identifiant national élève (INE) bientôt unifié de la maternelle au secondaire, dépasse le cadre de ce qui est nécessaire à l’action pédagogique des enseignants et à la gestion des moyens de l’Education nationale, et que, échappant au contrôle des citoyens, elle constitue un danger pour la préservation du droit à la vie privée et est incompatible avec le droit à l’oubli indispensable pour que les enfants et les jeunes puissent se construire et se structurer en individus épanouis et en citoyens responsables,
CONSIDERANT que le Comité des droits de l’enfant craint « l’utilisation de [Base élèves 1er degré] à d’autres fins [que l’éducation] telles que la détection de la délinquance et des enfants migrants en situation irrégulière et par l’insuffisance de dispositions légales propres à prévenir son interconnexion avec les bases de données d’autres administrations » alors que les Mairies, les Caisses d’allocations familiales et les collectivités locales en charge de l’aide aux boursiers sont déjà destinataires de certaines informations,
CONSIDERANT que l’article 2 du projet de loi 1890 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, adoptée en première lecture le 2 décembre 2009, permet de faciliter et systématiser l’interconnexion de tous les fichiers administratifs, sans information, ni débat public, et menace les libertés publiques en instaurant à terme un contrôle social incompatible avec la démocratie,
CONSIDERANT que l’opposition des directeurs d’écoles à l’inscription des données personnelles des enfants dans BE est légitime et relève de leur mission de protection des droits des enfants, reconnue par la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, conjointement avec le Rapporteur spécial sur le droit à l’éducation et le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, et que, par conséquent, les sanctions qui leur sont appliquées sont injustifiées,
CONSIDERANT que construire un grand service public d’éducation efficace nécessite des enseignants formés, des moyens financiers et matériels, et non des systèmes informatiques permettant un pilotage automatisé et un contrôle individualisé des élèves,
L’ASSEMBLEE DE CORSE
S’OPPOSE au fichage numérique des enfants et des jeunes, institué dans l’Education nationale, grâce à l’immatriculation de tous les élèves dans un registre national, parce que les données personnelles des élèves et de leurs familles doivent rester leur propriété et ne doivent pas sortir des établissements scolaires.
DEMANDE solennellement à l’Etat et, en particulier, au Ministère de l’Education Nationale de se conformer aux observations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU du 12 juin 2009, qui « recommande en outre que seules des données anonymes soient entrées dans des bases de données et que l’utilisation des données collectées soit régulée par la loi de manière à en prévenir un usage abusif », en renonçant à l’immatriculation des enfants (BNIE/RNIE) et à l’utilisation des bases de données personnelles en service au primaire (BE1D) et au secondaire (SCONET), ainsi qu’à la conservation numérique des parcours scolaires (LPC), et aux procédures automatiques d’orientation (Affelnet 6°, Affelnet 3°, Admission Postbac).
INVITE le gouvernement à organiser une remise à plat de tout le système informatique de l’Education Nationale, en consultant les élus et les parents d’élèves, les syndicats et les enseignants, la CNIL et les défenseurs des Droits de l’Homme, et de permettre un vrai débat sur l’utilisation des technologies numériques dans le service public d’éducation.
DEMANDE la levée de toutes les sanctions à l’encontre des directeurs d’école qui ont refusé d’enregistrer des enfants dans BE1D, que ce soit pour s’opposer à ce fichage illégal ou respecter la volonté des parents, ainsi que l’application du droit d’opposition rendu aux parents par l’arrêt du Conseil d’Etat du 19 juillet 2010.
S’ENGAGE à apporter son soutien aux personnels du 1er et du 2d degré qui se verraient sanctionnés du fait de leur refus de renseigner des bases contenant des données personnelles.

Trois ans après la création de Base élèves, des enseignants du primaire refusent toujours de remplir le fichier numérique.
Le 14 novembre, le Conseil national de résistance au fichier Base élèves (CNRBE) a publié un appel. Directeurs et enseignants y réaffirment leur refus de ficher les élèves et encouragent leurs collègues à dénoncer Base élèves. Pour le moment, seuls 68 directeurs et 82 enseignants ont signé le document.
Jérôme Thorel, de l'ONG Privacy International, qui lutte contre la violation de la vie privée par les gouvernements, affirme que les enseignants qui boudent le fichier sont sans nul doute plus nombreux. Aucun outil ne permet néanmoins de connaître précisément le nombre de désobéisseurs. Il consent :
« Beaucoup ont baissé les bras. Si le directeur arrive dans une école où les élèves ont déjà été fichés, il considère parfois que ça ne le regarde plus. »
En 2008, le gouvernement a supprimé de Base élèves certains champs de renseignement jugés dangereux par les instits, entre autres la nationalité, le lieu de naissance et la langue parlée à la maison. La plupart des directeurs sont alors entrés dans le rang.
Blâme, retenue sur salaire, mutation et serrure changée...
Ceux qui ont été encouragés par la condamnation de l'ONU et l'avis rendu par le Conseil d'Etat continuent à résister. Cet acte de rébellion a un prix. Les sanctions, appliquées depuis 2009, sont désormais plus sévères. Sur le terrain, tous ont observé un durcissement du ton ministériel à la rentrée scolaire 2011. Blâmés, financièrement sanctionnés, ils sont aussi mutés.
Philippe Wain, responsable d'une classe unique de Bauzy dans le Loir-et-Cher, s'est toujours opposé à Base élèves. Il a été « déplacé ». Après de multiples avertissements oraux et écrits, ainsi que des retenues financières, l'instituteur a reçu en avril un appel informel du secrétariat de l'inspectrice d'académie. On lui a alors déclaré qu'il serait souhaitable pour lui de changer d'école. L'enseignant a finalement appris sa mutation le 20 juin, par hasard :
« J'ai consulté la liste des postes vacants dans le département et j'ai eu la surprise d'y trouver celui que j'occupais depuis cinq ans ! »
Le ministère de l'Education nationale ne rate pas une occasion de contourner le refus des enseignants. En octobre, Annelyse Benoit, directrice de l'école Montbrun-Bocage en Haute-Garonne, est partie en congé formation. Une aubaine pour l'inspection académique, qui a convoqué incognito son remplaçant et fiché la totalité des élèves de l'école.
La palme revient cependant à l'inspection des Hauts-de-Seine : en 2009, elle avait fait changer la serrure de la porte de l'école Paul-Bert de Malakoff afin que Fabienne Thomas, désobéisseuse de la première heure, ne puisse plus venir enseigner.
Contacté par Rue89, le ministère de l'Education nationale a décidé de ne pas s'expliquer sur ces méthodes. Au service presse, on dit :
« Il arrive qu'il y ait une volonté du ministère de ne pas répondre à certaines questions. Ce n'est peut-être pas le moment de les poser. »
Une pression différente selon les académies
Là où l'opposition est forte...
Annelyse Benoit précise cependant que la situation est très différente d'une académie à l'autre :
« Ça dépend aussi de la personnalité des inspecteurs. Il y a des départements où ils font clairement du zèle, comme en Haute-Garonne, en Isère et dans l'Hérault. »
D'autres départements sont au contraire encore peu dans le collimateur du ministère. Véronique Decker, directrice à Bobigny, estime ne pas rencontrer de problèmes majeurs :
« En Seine-Saint-Denis, nous sommes encore plusieurs centaines de directeurs à s'opposer à Base élèves. Le rapport de force change et on nous laisse tranquille. »
Philippe Wain était le dernier chargé de classe de Loir-et-Cher à refuser l'usage du fichier. Il pense lui aussi qu'on l'a évincé afin de « finir ce qui avait été commencé » dans le département.
Plus au Sud, Joseph Ulla est l'un des deux directeurs aveyronnais à ne pas lâcher prise. Pour le moment, les sanctions se limitent à des retenues sur salaire :
« Ici, la population est très influencée par les luttes du Larzac. A chaque sanctions, enseignants comme parents d'élèves se mobilisent. L'administration a moins de marge de manœuvre. »
Deux mille courriers, six plaintes en mai