Que reste-t-il du sarkozysme? (7) Libération» regarde dans le rétro et décrypte les principales réformes lancées par Nicolas Sarkozy en tant que président. Aujourd'hui, l'enseignement supérieur et la recherche.
Par Véronique SOULE avec Marie PIQUEMAL
Dès le début de son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait promis de faire de l’enseignement supérieur et de la recherche l’une des grandes priorités de son mandat. A l’arrivée, cela donne des universités «autonomes» mais manquant de moyens, des réformes à hue et à dia, et finalement beaucoup de promesses non tenues.
La LRU, «la» grande réforme de l’autonomie des universités A l’origine, secouer un monde immobile
Pour Nicolas Sarkozy, tout le mal vient de 1968. Depuis, estime-t-il, plus aucun gouvernement n’a osé s’attaquer à l’université de peur de mettre le feu aux poudres. Du coup, rien n’a bougé, chacun défend ses petits intérêts et l’université française se retrouve dans les tréfonds du fameux classement international de Shanghai. Or il faut qu’elle brille dans la compétition mondiale. Et pour le président, cela passe par l’autonomie. En même temps, insiste-t-il, l’université doit cesser d’être dans sa tour d’ivoire à former des beaux esprits sans se préoccuper s’ils trouveront ou non du travail. Elle doit ajouter l’insertion professionnelle à ses missions.
Une mise en œuvre, à la hussarde
Le 10 août 2007, après des consultations expresses, le Parlement adopte la LRU – la loi Liberté et Responsabilité des Universités, communément appelée loi sur l’autonomie. C’est la première grande réforme de l’ère Sarkozy. Et un signal symbolique censé montrer que le nouveau président et sa fidèle ministre Valérie Pécresse vont faire bouger l’université comme peu avant eux. Dans la foulée, Pécresse annonce un l’«Opération Campus», un plan pour rénover et bâtir des super-campus.
Mais la communauté universitaire n’est pas vraiment enthousiaste. Un mouvement de protestation débute fin 2008 quand le gouvernement décide de toucher au statut des enseignants-chercheurs. Il propose de «récompenser» les meilleurs (c'est à dire ceux qui publient le plus) en diminuant leurs heures de cours. La réforme de la formation des enseignants (masterisation) ajouté au discours particulièrement méprisant à l’égard des chercheurs en janvier 2009, provoquent d'impressionnantes manifestations. Le plus long mouvement d'universitaires s'achève en juin 2009 sans que la ministre ait lâché grand-chose et laissera un goût amer de défaite.
Les conséquences, un paysage universitaire sens dessus dessous
La réforme, appliquée contre vents et marées, a été officiellement un grand succès. Les universités, qui avaient jusqu’à janvier 2012 pour devenir autonomes, se sont bousculées pour le faire, bien plus vite que prévu, se félicite Valérie Pécresse — de toute façon, la loi les y obligeait… Les présidents se retrouvent à gérer eux-mêmes les ressources humaines de leur université ainsi que la masse salariale (la grande nouveauté de la LRU).
En réalité, ils ont assez vite déchanté. Nicolas Sarkozy avait promis un milliard d’euros supplémentaire chaque année pour le supérieur. Mais après deux ans, l’effort s’est ralenti. A l’automne 2011, plusieurs universités, dans le rouge, ont du être mises sous tutelle de l’Etat. La CPU (conférence des présidents d’université) reconnaît que l’autonomie sans les moyens, ça n’a pas grand sens. Lire ici, et là les décomptes sur notre blog: «c'est classe»
Simultanément, pour devenir grandes et visibles sur la scène internationale, les universités ont été invitées à se rapprocher, voire à fusionner. Avec des alliances, des pôles, des réseaux, des fondations, etc, le paysage universitaire est devenu quasiment illisible.
A lire aussi : «Face à face autour des facs», interviews parallèles du ministre de l'enseignement supérieur et de «madame université» de Hollande (publié dans Libé le 2 janvier 2012).
La politique d’ «excellence» tous azimuts A l’origine, «avoir les meilleures universités du monde»
En décembre 2009, présentant le Grand emprunt (rebaptisé ensuite «investissements d’avenir»), Nicolas Sarkozy annonce que 22 milliards d’euros sur les 35 iront à l’innovation, au supérieur et à la recherche ainsi qu’à la formation. Et il s'emballe: «nous allons avoir les meilleures universités du monde». Dans la foulée, sa toujours fidèle ministre Valérie Pécresse indique que des appels à projets vont être lancés pour des Labex (laboratoires d’excellence), des Equipex (équipements d’excellence), des Idex (initiatives d’excellence), etc. Avec à la clé 11 milliards d’euros à se répartir….
Une mise en œuvre, au pas de charge
Si les universités, aux budgets serrés, veulent espérer avoir une part du gâteau, il faut faire vite: les délais pour présenter leurs projets sont serrés. Les lauréats des Labex, des Equipex et surtout des Idex – les 5 à 10 grands pôles universitaires de taille mondiale dotés au total de 7,7 milliards d’euros – sont connus courant 2011. Et les derniers en février 2012. Tout devant être signé avant la présidentielle.
A lire : Les pôles d'excellence au pas de course.
Les équipes qui ont travaillé sur ces projets sortent épuisées. Et certaines n’ont rien décroché. En plus, c’est la confusion autour des fonds promis: quand vont-ils commencer à être déboursés? Et combien exactement? En fait, dans la plupart des cas, ces sommes seront placées par l’Etat, et les heureux lauréats n’en toucheront chaque année que les intérêts.
Les conséquences, un système à deux vitesses
Les 8 lauréats des Idex se trouvent pour moitié en Ile-de-France, les autres en province (Toulouse, Strasbourg, Bordeaux et Aix-Marseille). Mais tout le Nord et l’Ouest de la France ont été oubliés. On se retrouve avec un paysage totalement déséquilibré, des régions entières sans grands pôles et un écart qui se creuse avec les petites universités exclues de la manne financière.
Pour la ministre, c’est le prix à payer pour avoir des universités bien placées dans le classement de Shanghai. L’ UMP se targue là encore d’un grand succès. Les détracteurs dénoncent, eux, un système à deux vitesses.
Ils s’inquiètent aussi de la part toujours plus grande des financements sur projets, donc ponctuels, au détriment des financements permanents, indispensables pour faire tourner les labos et les facs.
Le «plan licence», pétri de bonnes intentions A l’origine, un échec trop important les premières années
Plus d’un étudiant sur deux (52%) inscrit en première année échoue: 30% redoublent, 16% se réorientent et 6% disparaissent dans la nature. Devant ce constat d’échec, Valérie Pécresse lance un «Plan licence» en décembre 2007: il s’agit de mieux encadrer les étudiants, avec tuteurs et profs référents et de leur permettre de se réorienter en cours de première année. L’initiative est plutôt bien accueillie.
Une mise en œuvre, des moyens trop limités
Mais encore une fois, les sommes promises – 730 millions d’euros cumulés sur 5 ans — ne sont pas au rendez-vous. Ou lorsqu’elles arrivent, les universités, libres dans la gestion de leur budget, les utilisent parfois à d'autres fins, jugées plus urgentes.
Seuls changements constatés: des heures de tutorat, en général assurées par des troisièmes années, sont mises en place pour les premières années, et les cours en amphi sont limités au profit de TD. Des bilans sont introduits en fin de premier semestre, les réorientations facilitées. Chaque université faisant un peu ce qu'elle veut, la situation est très variable d'un campus à l'autre, d’où de grandes inégalités.
Les conséquences, des effets limités
Souvent, en réalité, ces «bonnes pratiques», mises sur le compte du Plan licence, existaient déjà. En plus, faute de moyens, les universités n’ont pas pu vraiment muscler la licence. Et elles se demandent aujourd’hui comment assurer les 1500 heures de cours annuelles imposées par le ministère pour la «nouvelle licence». Pour l’Unef, c’est une occasion ratée.
Au final, on est loin du but affiché de diviser par deux l’échec en licence. Le problème du décrochage, notamment des bacheliers professionnels, reste entier. Enfin, au-delà de la querelle des chiffres, les sommes dépensées par l’Etat pour un étudiant de fac sont toujours en deçà de celles dépensées pour un élève de prépa.
La vie étudiante, la cinquième roue du carrosse A l’origine, la montée de la précarité étudiante
Faire des études coûte de plus en plus cher. Les dépenses obligatoires ont encore augmenté de 4,1% à la dernière rentrée, selon une étude de l'Unef, première organisation étudiante. Pour financer leur formation, de plus en plus de jeunes travaillent à côté. Une activité parfois nuisible à leurs études quand elle est trop prenante.
Parmi les problèmes de fond: le logement social étudiant, largement insuffisant. A Paris, première ville universitaire de France, les loyers des petites surfaces ont explosé. Enfin, les aides sociales, comme les bourses, sont faibles et ne permettent pas de vivre, ni de se soigner. Valérie Pécresse, qui se veut la «ministre des étudiants», promet des efforts tous azimuts.
Une mise en œuvre, des vrais gestes et beaucoup de com
La ministre relance la construction et la réhabilitation de chambres universitaires, inaugure des logements dans des conteneurs et dans des casernes désaffectées, vante le logement intergénérationnel… Mais en réalité elle n’a pas la main sur ce dossier, qui ressort du ministère du Logement.
A lire : Logement étudiant, des promesses à revendre
Pour les bourses, elle se vante de multiplier le nombre d’allocataires. En fait, il s’agit pour l’essentiel de boursiers de niveau 0 — le plus bas échelon qui exempte des droits d’inscription mais ne donne droit à aucun versement. Enfin à la rentrée 2011, après deux ans d’atermoiements, elle introduit le dixième mois de bourse, réclamé par les organisations étudiantes. Cela restera la mesure phare du quinquennat.
Les conséquences, une autonomie toujours lointaine
Des efforts ont été faits, mais cela ne change pas radicalement la situation des étudiants. Les aides au logement (les APL), les seules à ne pas dépendre des revenus des parents, n’ont pas suivi l’inflation. Et les boursiers de niveau 6 – le plus haut échelon – touchent 460 euros par mois, ce qui est insuffisant pour vivre (le seuil de pauvreté est de 954 euros par mois). Pour les étudiants, la ministre a oublié ses promesses de début de mandat pour ne plus penser qu’à l’excellence et à la montée dans les classements internationaux…
La «circulaire Guéant», le grand ratage final A l’origine, baisser les chiffres de l’immigration légale
Obnubilés par la politique du chiffre en matière d’immigration, les ministres de l’Intérieur et du Travail, Claude Guéant et Xavier Bertrand adressent le 31 mai 2011 une circulaire aux préfectures pour qu’elles examinent avec «plus de rigueur» les demandes d’autorisation de travail des immigrés. Sont visés entre autres les jeunes diplômés étrangers, de niveau master ou plus, qui à la fin de leurs cursus effectuaient jusqu’ici une première expérience professionnelle en France.
Une mise en oeuvre, les grandes écoles dans la bataille
La suite...