Vers le chèque éducation : Nanterre paiera pour Neuilly
Le 10 décembre 2008, a été adoptée par le Sénat une proposition de loi, dite « loi Carle » du nom de son initiateur UMP, sur le financement des élèves fréquentant des écoles élémentaires privées sous contrat d’association, hors de leur commune de résidence. Forme de chèque éducation, cette nouvelle concession faite au privé, institue une obligation de financement sans accord préalable de la commune de résidence. La loi Carle abroge, certes, l'article 89 de la loi du 13 août 2004 qui généralisait ce privilège, dans tous les cas, à tous les élèves du privé hors commune. Mais, cette nouvelle disposition n’en reste pas moins, si ce n’est plus dangereuse, car elle pose, plus explicitement, un principe d’obligation de financement contraire aux textes fondateurs de l’École de Jules Ferry, en créant une distorsion de traitement qui favorise les écoles privées, en aggravant et outrepassant y compris la loi Debré qui régit les rapports entre l’État et les établissements privés. Ce texte doit être, prochainement, soumis à l’Assemblée nationale. Il soulève plusieurs problèmes d’inconstitutionnalité.
Au nom de l’obligation constitutionnelle, selon laquelle, « … l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat », la prise en charge financière de la commune de résidence pour les élèves fréquentant une école publique d’une autre commune trouve ici sa justification. Au nom d’une pseudo « parité » de moyens, tout en refusant les obligations afférentes au service public au nom de leur « liberté de choix », certains revendiquent le privilège de la discrimination sociale, et rencontrent le soutien de ceux qui communautarisent ou commercialisent l’espace scolaire.
Le financement public correspondant à des critères dérogatoires définis n’est possible qu’après accord initial dans l’enseignement public. Pour le privé on oblige, sans autorisation préalable, les mêmes communes de résidence à prendre en charge les exigences des parents qui refusent le service public et scolarisent leurs enfants dans le privé hors commune.
Le principe de « liberté d’enseignement » invoqué par certains n’implique en aucune façon, un quelconque financement public. Être enseigné dans une école hors contrat ou enseigné à domicile, voilà qui revient à une même « liberté d’enseignement », qui exclut et interdit, par définition, toute forme de financement public. La « liberté d’aller et venir » est aussi fondamentale, ceux qui refusent le transport en commun ne revendiquent pas le financement par la puissance publique de leurs courses en taxi.
Ce nouveau dispositif législatif aggrave la logique discriminatoire et dispendieuse de la loi Debré du 31 décembre 1959 qui met à la charge de la commune les dépenses de fonctionnement des écoles privées sous contrat avec l’État implantées sur son territoire, et elles seules. La loi Carle, elle, à l’instar de l’article 89 de la loi de 2004 qui initiait cette dérive, se surajoute et aggrave ainsi la loi Debré et crée de nouvelles obligations : ici l’usager se voit attribuer un droit de tirage sur le budget municipal, sans accord préalable, et impose à sa commune de résidence le paiement de sa scolarité dans une école privée d’une autre commune.
Jusqu’à ce jour, le dispositif législatif établissait un rapport institutionnel fort entre l’École et la Commune. Les communes n’ont de compétences et de charges afférentes que pour l’École publique. Pour les écoles privées, la commune n’a aucune compétence, uniquement des charges résultantes du contrat d’association passé entre l’État.
Aujourd’hui, on introduit une relation marchande usager-Commune avec ce qu’il faut bien considérer comme un «chèque éducation », utilisable aussi bien hors commune.
La Loi Carle fait primer les choix communautaristes et particularistes sur l’intérêt général en encourageant par ce régime de faveur la scolarisation dans des écoles privées. La ghettoïsation sociale va s’accroître. Les dépenses des communes vont augmenter et générer des imprévisibilités pour les coûts de l’éducation. La banlieue paiera pour la ville, Nanterre paiera pour Neuilly …, les communes rurales seront pénalisées avec un risque fort d’exode scolaire. Des classes et écoles publiques disparaîtront…
Ceux qui revendiquent la suppression du service public laïque d’éducation voient ainsi tomber du Ciel parlementaire, un chèque éducation qui individualise le rapport à l’école, en instituant des logiques communautariste, marchande et commerciale. Ce faisant, la loi Carle sacrifie la justice sociale, la laïcité et le vivre ensemble de jeunes citoyens en devenir.
Eddy KHALDI
Coauteur avec Muriel FITOUSSI
De « Main basse sur l’école publique »
Editions DEMOPOLIS
http://www.main-basse-sur-ecole-publique.com/
Lettre aux Députés et aux Sénateurs de la République
LOI CARLE
Assez de cadeaux à l'enseignement privé
Ni article 89, ni copie remaniée!
La pétition
Madame, Monsieur le Député,
Madame, Monsieur le Sénateur,
Nous vous demandons de voter contre ce dispositif législatif qui s’oppose à notre Constitution et menace notre École de la République.
Nous vous demandons de vous engager dès maintenant a vous joindre au recours au conseil constitutionnel qui doit etre deposé dans les huit jours qui suivent le vote a l’assemblee.
Ne séparons pas nos enfants dès l’école primaire!
Ne brisons pas le lien social entre la collectivité et les enfants scolarisés!
Maintenons le pacte républicain !
L’École publique est l’École de la République, c’est à dire de tous ses enfants!
Ne sacrifions pas l’intérêt général à quelques intérêts particuliers
N’allons pas vers une communautarisation de l’espace scolaire et la multiplication de
réseaux d’écoles privées !
La proposition de loi Carle, adoptée le 10 décembre 2008 par le Sénat, va venir très prochainement devant l’Assemblée. Cette proposition est inacceptable!
Elle vise à "garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat lorsqu'elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence"
Il s'agit là de reconnaître, de fait, une mission de service public aux écoles privées qui sont pourtant des entreprises n'ayant aucune des obligations des écoles publiques et de contraindre les communes à financer des écoles privées en dehors de leur territoire.
Les associations de parents, les professionnels de l’éducation et les élus considèrent nécessaire et indispensable de renforcer la mixité sociale, afin que les enfants puissent apprendre à vivre ensemble. Si cette proposition de loi Carle est votée, nous serons confrontés à l’éclatement scolaire, social et communautaire.
Ne modifiant en rien l’entrave à des principes constitutionnels fondamentaux, les quelques aménagements prévus par la proposition de loi ne sont que des artifices. Si une commune juge que la demande d'une famille n'est pas recevable, le Préfet peut obliger la collectivité à financer la scolarisation des enfants de cette famille hors de sa commune de résidence. De surcroit, il n’y a pas d’accord préalable : la commune est mise devant un fait accompli et doit le faire supporter à l’ensemble des contribuables. On fait ainsi primer l’intérêt particulier sur l’intérêt général en favorisant la scolarisation dans les écoles privées
Cette proposition de loi qui est dans le droit fil de l'article 89 de la loi de 2004 va plus loin que la loi Debré modifiée du 31 décembre 1959 qui fonde, sur le territoire d’une commune, les « rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privés ». Elle crée pour toutes les communes de nouvelles obligations au bénéfice de toutes les écoles privées implantées sur d’autres communes. Or la commune n’a pas donné son accord pour le contrat passé entre d’autres communes, leurs écoles privées et l’État. La libre administration des communes inscrite dans la constitution est ainsi remise en cause.
L’adoption de ce projet de loi entraînerait la fermeture de classes ou d’écoles publiques.
Ce projet de loi qui va être incessamment soumis au vote de l’Assemblée nationale répond largement à la demande de la direction de l’enseignement catholique.
Ce texte va aggraver le dualisme scolaire, donner à l’enseignement privé des moyens dont ne dispose pas l’enseignement public, qui, lui, a toutes les contraintes de service public. : laïcité, obligation d’accueil de tous les élèves, continuité de service et gratuité pour les familles.
L’École publique est celle de tous les citoyens. Les députés, quelle que soit leur appartenance politique, doivent s’opposer à l’adoption de cette proposition de loi qui remet en cause le pacte républicain voulant que les pouvoirs publics soutiennent l’école de la République et ne permettent pas que les enfants soient séparés dès l’enfance.
Les députés attachés aux principes du maintien des liens forts entre l’école, les habitants d’une localité et les élus ne peuvent pas accepter ce système d’individualisation qui transforme la collectivité en simple tiroir caisse et instaure un chèque éducation. Ce projet de loi adopté, tout citoyen au nom du principe d’égalité, serait en droit de revendiquer auprès de sa commune de résidence ce nouveau privilège pour faire financer au nom de la liberté d’enseignement la scolarité de ses enfants dans un établissement sous contrat simple ou hors contrat, voire pour une instruction dans sa famille. Cette possibilité ne doit pas être votée.
Les députés républicains ne peuvent pas accepter une proposition qui conduirait les collectivités à verser un surplus de plusieurs centaines de millions qui, non seulement n’amélioreraient pas les conditions de scolarisation, mais les aggraveraient en conduisant inéluctablement à la disparition d’écoles de proximité.
Déjà plus de 500 communes, sans école publique, ne disposent que d’école(s) privée(s) confessionnelle(s). Combien y en aura t-il demain avec cette disposition anticonstitutionnelle ? Rappelons-le : « L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat. ».
De très nombreux maires de toutes tendances ont exprimé hier leur inquiétude devant l’article 89 de la loi du 13 août 2004. Ils vont se retrouver dans la même situation demain avec cette épée de Damoclès qui vise l’avenir de leurs écoles publiques et laïques ouvertes à tous et menace l’équilibre de leurs budgets. Ce projet fait augmenter les dépenses d’éducation ; la banlieue paiera pour la ville, les communes rurales seront pénalisées avec un risque fort d’exode scolaire vers le chef lieu de canton et les villes.
Nous sommes convaincus que ce courrier va attirer votre attention car vous savez qu’il en va de l’avenir même d’un système scolaire de qualité pour la réussite de tous et d’une conception républicaine qui maintient un lien puissant entre la commune et son école.
Nous nous tenons à votre disposition pour tout renseignement complémentaire.
Nous vous demandons de voter contre ce dispositif législatif qui s’oppose à notre Constitution et menace notre École de la République.
Nous vous demandons de vous engager dès maintenant a vous joindre au recours au conseil constitutionnel qui doit etre deposé dans les huit jours qui suivent le vote a l’assemblee.
Veuillez agréer, Madame, Monsieur le parlementaire, l’expression de nos sentiments respectueux.
Références :
==> Compte-rendu Commission culturelle 3 juin 2009
==> Dossier législatif assemblée
==> Dossier législatif sénat
Positions de certains sénateurs de gauche:
- Compte rendu intégral des débats du 10 décembre au Sénat
- Lettre de Yannick Bodin, Sénateur
==> Relire (c’est l’abrogation, le retour à l’état antérieur qui était demandé)
- Compte-rendu des débats u 27 novembre 2007 à l'Assemblée nationale
- Compte-rendu des débats du 6 février 2008 au Sénat
==> Vers le chèque éducation, Nanterre paiera pour Neuilly / note de Eddy Khaldi, 11 mai 2009
==> Main basse sur l'école publique d'Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi http://ecolesdifferentes.info/OPAentecpub.htm
==> La Bataille de la laïcité, 1944-2004 de Guy Georges
==> La Laicité à l’école reste un combat / François Cocq et Francis Daspe /Humanité Dimanche, 15 mai 2009,
==> CDPEPP-Collectif pour la défense et la promotion de l'école publique de proximité
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