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Jean-François BERTHON
Maître de Conférences en Sciences de l’Education.
Université d’Artois – IUFM Nord-Pas-de Calais
et un collectif de professeurs
formateurs d’enseignants
Qui accepterait de confier son corps à un chirurgien dont on sait qu’il n’a appris son métier que dans les livres, et sur les bancs des amphithéâtres où sont dispensés des cours magistraux ? C’est pourtant l’équivalent qui va arriver très prochainement dans les écoles à nos enfants et petits enfants.
A première vue, donner aux futurs enseignants de l’Ecole primaire, de Collège et du Lycée une formation au niveau « Master 2 » (Bac + 5) est une bonne chose. Il est de même bien évidement indispensable que les enseignants disposent d’une qualification de haut niveau dans les disciplines qu’ils doivent enseigner. Encore faudrait-il que cette formation ne se réduise pas à un enseignement purement « universitaire » : des cours généraux faits par des enseignants, pointus dans leur domaine, mais qui ne connaissent rien des réalités de l’enseignement dans les Ecoles maternelles, les écoles élémentaires, les collèges, les lycées professionnels…
C’est pourtant ce que prévoit la réforme de la formation des maîtres qui vient d’être décidée par le gouvernement, et il ne faut pas avoir peur de dire que cette réforme est, contre le système scolaire français, une attaque sans précédent depuis la suppression des Ecoles Normales par le régime de Vichy. La formation donnée dans les IUFM aurait sans aucun doute mérité d’être améliorée ; mais en guise d’amélioration, c’est la suppression d’une véritable formation qui est programmée.
Tout d’abord il n’est pas vrai que la première année de formation en IUFM, avant le concours, ne donnait pas lieu à des stages. A l’IUFM de l’académie de Lille, même si c’était encore insuffisant, il y avait 3 semaines de stages de pratiques accompagnées (une semaine dans chaque cycle), correspondant à 78 h de formation, à quoi s’ajoutaient les séances de « bilan de stage » et les 40 h de préprofessionnalisation (dont 20 h de stage) en années de Licence. Désormais, même si des stages sont en effet prévus par le nouveau décret, ils ne sont pas du tout quantifiés. Il est même précisé que « les stages suivis pas les étudiants ne peuvent pas être une condition pour se présenter à une épreuve et ne peuvent lui servir de support ». Peut-on être plus clair ? Ils sont facultatifs.
Il est par ailleurs totalement faux que les professeurs-stagiaires après succès au concours « étaient mis brutalement en situation professionnelle ». Ils effectuaient 3 semaines de stage de pratique accompagnée, 6 semaines de stages en responsabilité, réparties en deux périodes, et une journée par semaine de « stage en responsabilité filé », stages accompagnés par des formateurs de l’IUFM et des Conseillers Pédagogiques des Circonscriptions. Le tout correspondait à 432 h de stage.
Qu’impose la réforme ? En tout et pour tout 108 h de stage d’observation et de pratique accompagnée la deuxième année de Master. Stage qui n’est d’ailleurs pas obligatoire…
Ces 108 h seront sans doute rémunérées… Mais il ne faut pas oublier que sont désormais supprimés les salaires – mensuels - des Professeurs-stagiaires, ce qui correspond à une grave régression sociale : combien d’étudiants « non riches » pourront se permettre d’effectuer 5 années d’étude sans revenu, et sans même être sûr de réussir un concours où – suppression des postes aidant – les places sont de plus en plus « chères » ? Sans doute des « bourses au mérite » sont elles prévues. En cette période de déficit sans précédent du budget de la Nation, faut-il encore rêver ? Sans compter que l’année de salaire comptait pour la retraite, mais pas les bourses…
Enfin, après succès au concours – si les reçus ont bien la même année leur Master 2 – c’est là qu’ils seront mis « brutalement en situation professionnelle ». Pour les deux tiers de leur temps ils prendront « la responsabilité d’une ou deux classes » (soit 2 jours et demi en primaire), et disposeront d’un tiers de leur temps en formation, sans qu’on sache d’ailleurs qui assurera cette formation… (D’après le Ministre de l’Education Nationale, la promotion reçue au concours 2010 devrait même être employée, à 100 %, et donc sans formation complémentaire…).
Notons, sur ce point, que le décret ne fait aucune place, dans la formation, aux « maîtres formateurs » que sont, en particulier dans le primaire, les Enseignants Maîtres Formateurs (EMF), titulaires du CAFIPEMF, diplôme qui n’est pas un diplôme universitaire. Actuellement ils interviennent pour un tiers de leurs temps dans les IUFM auprès des professeurs stagiaires. De fait ils seront exclus de la formation en Masters, ou seulement réduits à la fonction de « Maître d’Accueil Temporaire », ce qui correspond à la fois à une grave régression et à la perte d’une véritable compétence, indispensable à la formation de professionnels.
Sans doute, dans un certain nombre d’Universités, à partir de l’an prochain une unité d’enseignement (UE) par semestre sera mise en place pour aborder la recherche en sciences de l’éducation. Il est sans aucun doute excellent d’appuyer la formation sur la recherche, et il est sans doute bon que les étudiants professeurs reçoivent des informations de haut niveau sur la psychologie, la sociologie et l’histoire de l’éducation, sans compter, bien évidemment les contenus des disciplines enseignées, mais notre vieille expérience de formateurs nous permet de savoir que toutes ces informations conférées en cours universitaires ne prennent sens pour les professionnels en formation que si elle sont effectivement articulées à une réelle pratique, et à une analyse réflexive de cette pratique.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur l’incidence négative de cette situation sur les Masters eux-mêmes, ne serait-ce que parce que la place et la forme des concours ne permettront pas aux étudiants de s’investir sérieusement dans la recherche. Dans cette réforme, les étudiants y perdent sur les deux tableaux, sur les Masters et sur la professionnalisation. Le gouvernement aménage la première année d’études supplémentaires (master 1, ex-maîtrise) en une simple année de bachotage généraliste et prétend que les étudiants de deuxième année (ex-DEA) pourront en quatre mois seulement, entre les écrits et les oraux, à la fois préparer un oral de concours, suivre des stages, rédiger un mémoire de master, se former à la recherche, s’initier à la dimension internationale de leur fonction future et connaître l’organisation de l’éducation nationale. A court terme ce sont nos élèves qui vont y perdre, à moyen terme tout le système scolaire, déjà affaibli par la suppression de 50 000 postes d’enseignants depuis 2007, remplacés partiellement par 20 000 vacataires recrutés sans formation, la suppression de la classe du samedi matin en primaires, etc. Ils y perdent aussi sur le plan social…
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