Nicolas Sarkozy est un homme heureux. Lui qui jauge la grandeur d’une réforme à la taille des cortèges, sait depuis hier soir que son projet sur les retraites a pris une importance exceptionnelle dans le cœur des Français… Au point de mettre en danger, pour la première fois depuis le début du mouvement, l’existence même de la réforme.
Car hier, la mobilisation - quatrième journée d’action en cinq semaines - a battu tous les records : 1 230 000 manifestants en France selon la police, 3,5 millions selon les syndicats. Soit plus de 15% par rapport au 23 septembre, dernière action organisée en semaine. «Historique», déclarait Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, au départ du cortège parisien. «Surtout après le vote par le Sénat des principales mesures du projet.»«La plus grosse journée depuis le début du processus», estimait de son côté Jean-Claude Mailly, responsable de Force ouvrière. Même la police reconnaissait une progression de 23% du nombre de manifestants en France par rapport au 23 septembre. A Paris, elle est allée jusqu’à concéder une hausse de 37%(89 000 contre 65 000).
Un «saut» dans le mouvement dû en partie aux jeunes, évalués par l’Unef à près de 150 000 (lycéens et étudiants) sur l’ensemble du territoire. Dans la capitale, ils étaient plusieurs milliers dans le cortège, venus pour certains de banlieue, manifestant derrière l’Unef ou sous la bannière de leur lycée. «Non au départ à 62 ans»,«non à la réforme», scandaient les jeunes, dont certains s’inquiétaient aussi de leur insertion professionnelle. «Avant de savoir s’il faut partir plus tard, il faudrait déjà que nous puissions commencer à travailler», expliquait un étudiant.
Mais, c’est la présence toujours massive des salariés qui a fait de la journée d’hier un succès de mobilisation. Public, privé, les bataillons syndicaux étaient encore impressionnants. Quant aux arrêts de travail, ils étaient en augmentation chez les fonctionnaires territoriaux (16,12% de grévistes contre 15,75% par rapport au 23 septembre ) et chez les hospitaliers (14,15% contre 12,54%). A la SNCF, le niveau était aussi en progression, à 40,4% (+3,3 points). Seuls les agents de l’Etat ont connu une légère baisse (21,22% contre 21,44%). Onze raffineries sur douze étaient également touchées par des arrêts de travail, et trois d’entre elles ont entamé hier des procédures d’arrêt de la production.
«Nasse».
Forts de ce succès, les responsables de confédérations ont répété leurs exigences : «Le gouvernement doit reconnaître qu’il est dans une impasse et qu’il doit négocier», a déclaré Bernard Thibault. «Dans n’importe quel pays démocratique, et face à une telle mobilisation, la réforme serait remise sur la table», s’est indigné son homologue de la CFDT, François Chérèque. Et d’estimer tous deux que «rien n’est plié», alors même que le Sénat doit adopter le projet de loi en fin de semaine. «On a vu des textes votés par le Parlement, et dont les décrets d’application n’ont jamais été publiés», a rappelé Thibault. Nombre de dirigeants syndicaux expliquaient également l’importance de la mobilisation par l’intransigeance du pouvoir, qui a tenté de couper l’herbe sous les pieds des manifestants en accélérant le débat au Sénat. «Le gouvernement est dans la nasse, il est en train de se faire piéger par un mouvement qu’il n’estimait pas aussi déterminé, explique un autre responsable syndical. Ils sont d’autant plus mal qu’ils n’ont plus rien à lâcher sur le fond de la réforme».
En témoigne la fin de non-recevoir adressée par le Premier ministre aux manifestants, lors de son intervention hier à l’Assemblée : «Personne ne reviendra sur le recul de l’âge légal à 62 ans, car serait une folie économique et une catastrophe sociale.»A gauche, on renvoyait l’homme dans ses cordes : «Au lieu de considérer que c’est toujours la faute des autres, de ses prédécesseurs, des Français, des syndicats, de l’opposition, [François Fillon] devrait plutôt se poser la question de savoir ce qui crée ce sentiment d’affrontement entre un pays et son gouvernement, si ce n’est pas plutôt sa réforme», a déclaré, hier, Martine Aubry.
débattre.
Les confédérations, qui doivent se revoir demain, misent maintenant sur la journée de samedi, où elles appellent à nouveau l’ensemble des Français à descendre dans la rue. A Toulouse (140 000 manifestants selon les syndicats), une nouvelle journée de mobilisation a été décidée pour demain. Sur le front des grèves, les salariés devraient se prononcer ce matin et dans le cadre d’assemblées générales. Tout comme les étudiants et les lycéens, qui doivent débattre de la suite du mouvement. Quant au gouvernement, il ne lui reste plus qu’à espérer que le mouvement n’entre pas, à partir d’aujourd’hui, dans une dynamique que plus grand monde ne contrôle.