Enseignement : à propos de l'affaire du voile de Montreuil
S. Minnaert, P. Morsu
Nous sommes pour l'une professeur d'école et syndicaliste, pour l'autre parent d'élève à Montreuil. Nous sommes aussi tous deux militants anticapitalistes. Nous avons donc quelques motifs pour nous exprimer à propos de la nouvelle affaire de voile qui secoue notre ville.
Pour résumer la controverse, on dira que la question est de savoir si une personne affichant sa religiosité peut ou pas participer à l'encadrement de sorties scolaires. A dire vrai, la question pourrait être vite expédiée. Comment imaginer qu'une activité menée dans le cadre scolaire puisse échapper aux règles qui fondent l'École publique ? Tout ceci ne résiste pas à l'examen.
Mais évidemment, les manœuvres de Châtel relativement à ce sujet sèment la confusion. Il faut donc y revenir.
« Ni Dieu, ni César, ni Tribun »
Anticapitalistes, nous sommes (évidemment !) hostiles au fait religieux. Mais notre hostilité à la religion, à toutes les religions, n'est pas qu'une affaire de principes philosophiques.
Nous vivons une période où les acquis progressistes sont attaqués l'un après l'autre. Le mouvement ouvrier et progressiste lui-même se délite peu à peu. Sa crise est telle qu'il existe des régions du monde où les cléricaux ont pu gagner en influence et apparaitre comme une force de libération malgré les conceptions moyenâgeuses qu'ils véhiculent. Dans ce contexte, l'anti-cléricalisme n'a rien de dépassé, bien au contraire !
En France, l'hostilité de la gauche au cléricalisme est une tradition pleinement justifiée, que nous assumons. Elle remonte à la grande révolution et au rôle que joua depuis le clergé catholique contre les forces de progrès, républicaines, puis socialistes (rappelons aussi son rôle aux côté des monarchistes, contre l'école laïque, etc.). Encore aujourd'hui comment ignorer le rôle politique de la hiérarchie catholique ?
Bien sûr, il n'y a pas que le clergé catholique. On sait le rôle des rabbins dans le véritable enfer que subissent jour après jour les palestiniens. Quant aux immams et mollahs en tous genres, leur place au sein du régime moyenâgeux qui écrase littéralement les travailleurs, la jeunesse d'Iran est bien connue.
Il faut d'ailleurs ajouter un élément essentiel : partout, quelle que soit la religion, les cléricaux ont été en première ligne contre le droit des femmes, leurs libertés élémentaires, à commencer par celui de disposer de leur corps.
C'est pourquoi nous n'avons aucune honte à l'affirmer : oui, parce que nous sommes de gauche, nous sommes hostiles à la religion et aux cléricaux, à tous les cléricaux !
La « laïcité » : un acquis partiel
Dans notre pays, nous bénéficions donc d'un système scolaire au sein duquel l'influence cléricale est contenue. C'est pour nous un acquis : militants de gauche, nous ne désirons pas voir nos enfants livrés à l'endoctrinement d'une Église quelconque. Moins nos enfants fréquenteront des représentants religieux, mieux ce sera !
Il est vrai que les forces de la réaction n'ont jamais pu accepter cette particularité française, produit d'une Histoire spécifique. Et c'est un fait que depuis près d'un demi-siècle (loi Debré, 1959), les gouvernements qui se succèdent travaillent au rapprochement progressif du système public et de l'enseignement privé (essentiellement confessionnel), ce que nous combattons.
Il ne s'agit pas seulement d'idéologie. En soi, le « gouvernement des riches », celui de Sarkozy, se moque bien des questions religieuses. Ce qui lui importe c'est poursuivre la véritable guerre sociale qu'il mène depuis 2007, et qui passe nécessairement par le démantèlement de cet acquis social décisif qu'est le service public d'Enseignement. D'où la mise en avant du « caractère propre » des établissements. Et pour cela les cléricaux, fussent-ils musulmans, lui servent bien. En clair, ils sont dans cette affaire les têtes de pont des patrons, ce qui n'a rien de surprenant.
« Ni voile, ni croix, ni kippa »
Depuis 1989 (affaire du voile à Creil), l'Enseignement Public est l'objet d'une offensive qui trouve plutôt son origine dans les milieux religieux musulmans, largement instrumentalisés en la matière.
Les enseignants, massivement attachés au caractère non religieux de leurs établissements, étaient sommés d'accueillir dans leurs classes des élèves affichant ouvertement leurs convictions religieuses. La suite était cousue de fil blanc : adapter les programmes au nom du respect des croyances, etc. En clair, l'Enseignement Public devrait s'aligner sur les exigences obscurantistes au lieu d'être un outil pour s'en libérer.
Évidemment, le fait que ce soit les immams qui soient montés en première ligne fut une aubaine pour les réactionnaires de tous poils. Ainsi, en 2004, on a pu voir Chirac se pavaner en défenseur de « la laïcité », et faire voter une loi relative à la question. Pourtant, un an avant, la commission Stasi ait réaffirmé que les curés, rabbins et autres pasteurs resteraient payés par les deniers publics en Alsace-Lorraine...
Il est aussi vrai que toutes ces manœuvres n'ont été possibles qu'à cause de l'extrême modération de la gauche officielle – avant tout les syndicats enseignants et les organisations de parents d'élèves. Dès cette époque, il eut suffi d'un appel de ces organisations à la communauté scolaires (profs, parents...) pour faire respecter le caractère non religieux des établissements à la base, école par école, par leur propres méthodes, pour que l'affaire se règle d'elle-même.
Châtel aux basques de M. Le Pen
C'est dans ce contexte que L. Châtel a donc récemment annoncé son intention de durcir encore les conditions d'application de la circulaire de 2004. Par un curieux hasard, cette annonce tombe alors que le vote UMP s'effondre face à celui du FN. Le hasard, sans doute....
En fait, qui peut douter une seconde que Châtel – après Hortefeux, Guéant et les autres – utilise la question dans la course indécente qu'il mène avec M. Le Pen (autre nouvelle convertie à la « laïcité ») et son FN sur le terrain du racisme ?
Faut-il d'ailleurs rappeler que Châtel, ce fougueux laïque, fait partie d'une équipe qui, encore récemment, fit voter la loi Carle, qui renforce encore les prébendes dont jouit l'Enseignement privé (en clair : les écoles confessionnelles) ?
Du point de vue de la défense de l'Enseignement Public face aux lobbies religieux, la mesure annoncée par Châtel est dérisoire. Son objectif est autre : il s'agit de stigmatiser la population d'origine étrangère, de donner des gages à la frange la plus réactionnaire de l'électorat sarkozyste, celle qui est retournée au bercail du FN après 2007.
Les faux amis de l'Enseignement Public
Comme on pouvait le craindre, cette nouvelle provocation du gouvernement a servi à différents groupes hostiles aux « laïcards » pour déployer leur activité.
Ainsi, à Montreuil, diverses organisations se sont lancées dans une dénonciation de la situation existant dans une école. Un tract affirme :
« (...) plusieurs mamans musulmanes qui portent un foulard sont interdites de sorties scolaires au faux prétexte de laïcité. A Montreuil, par exemple, à l’école Paul Lafargue, plusieurs mamans sont stigmatisées et leurs enfants humiliés ! »
Il s'agit donc bien de soutenir l'affirmation d'une religion donnée dans le cadre scolaire. Il n'est pas question là d'usages vestimentaires, ce qui serait une toute autre affaire.
Par ailleurs, ce texte dénonce dans cette mesure un « détournement islamophobe de la laïcité ». Nous ne voyons pour notre part pas en quoi la seule religion musulmane est visée. La même règle s'impose à tous, et pas seulement aux musulmans.
Mais disons le nettement : pour notre part, nous attendons des enseignants qu'ils préservent nos enfants de la propagande religieuse – encore une fois, quelle que soit la religion en question.
Il ne saurait donc être question pour nous de soutenir une campagne qui ne peut mener qu'à l'affaiblissement du caractère laïque de l'enseignement.
Et la gauche ?
Force est de le dire : on aimerait simplement voir les organisations enseignantes et de parents d'élèves se faire moins discrètes sur la question... Il faut sortir du piège consistant à laisser les enseignants, les parents se retrouver soit aux basques du gouvernement, soit à celles de groupes de pression pro-religieux.
Il faut d'ailleurs noter ce qui rassemble le gouvernement et ces groupes : leur hostilité commune à un enseignement public largement préservé de l'influence religieuse.
La responsabilité de la gauche, du mouvement ouvrier est évidente : cesser les circonvolutions, dénoncer le caractère hypocrite et raciste des décisions de Châtel - les élus municipaux FdG font d'ailleurs l'inverse en publiant un communiqué se situant sur le terrain du soutien à la loi chiraquienne de 2004.
Mais cette position ne peut signifier un quelconque soutien à ceux qui utilisent la politique de ce gouvernement pour accentuer la pression religieuse sur l'Enseignement public.