par Véronique Soulé
La loi sur l’autonomie des universités initiée par Nicolas Sarkozy a pour effet pervers de plomber les budgets des établissements : huit sont dans le rouge pour la seconde fois.
La grande majorité des universités françaises sont aujourd’hui autonomes. C’est un sujet de fierté pour l’UMP qui compte en faire un argument de campagne : avec la loi LRU (sur l’autonomie), les universités se sont réveillées, devenant dynamiques, ambitieuses… Le problème est que huit d’entre elles sont en déficit pour la seconde année consécutive. Et que plusieurs autres se demandent comment elles vont boucler leur budget 2012.
Devant ces problèmes financiers, les détracteurs de la LRU, qui l’ont combattue dans la rue en 2009, clament qu’ils avaient raison et demandent son abrogation. Les partisans - notamment les présidents d’université qui l’ont mise en place - sont plus mesurés. Mais ils ne cachent pas leur inquiétude. D’après eux, l’autonomie reste une bonne chose dans le principe. Mais, sans moyens, elle perd nettement de son intérêt.
Structurels. Officiellement, tout ça n’est pas bien grave. En annonçant le 17 novembre que 8 universités, sur 83, étaient dans le rouge et allaient voir leurs budgets arrêtés par les recteurs, le ministre de l’Enseignement supérieur, Laurent Wauquiez, s’est félicité que «la très grande majorité soit en bonne santé financière». Face à des difficultés présentées comme passagères, en partie imputables à la mauvaise gestion des présidents, le ministre préfère rappeler les efforts sans précédent faits sous Nicolas Sarkozy pour avoir des universités qui brillent dans le monde.
Mais, en attendant de damer le pion aux britanniques et aux américaines qui monopolisent la tête des classements, plusieurs facs françaises n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Les sommes en jeu ne sont pas considérables, mais il s’agit souvent de déficits structurels qui se creusent d’année en année.
L’université de Limoges, l’une des premières à être devenue autonome, affiche un déficit de 3 millions d’euros en 2010, après un trou de 1 million d’euros en 2009. A Nantes, le président, Yves Lecointe, parle de 4 millions d’euros manquant pour financer les salaires. «On nous avait annoncé des moyens supplémentaires et des marges de manœuvre, mais on ne les a pas eus», dit-il. Le président de l’université de Bretagne-Sud, Olivier Sire, évoquant une «situation extrêmement critique», a décidé de geler 20 postes. A Pau, il manque 2 millions d’euros pour boucler le budget. Mais la direction veut encore se battre et refuse d’adopter un plan d’austérité. «Nous sommes une petite université, et si on devait fermer des filières, on se tirerait une balle dans le pied», explique Jean Ortiz, du Snesup, le principal syndicat du supérieur hostile à la LRU.
Comment en est-on arrivé là ? Il y a d’abord une raison technique. En devenant autonomes, les universités se sont retrouvées à gérer leurs masses salariales, ce qui était avant du ressort de l’Etat. Les règles comptables ont alors changé. Les frais d’inscription, par exemple ceux de 2011-2012 perçus à la rentrée, ne peuvent plus être comptabilisés sur l’année 2011. Un tiers seulement peut l’être, le restant devant être reporté sur 2012. Cela provoque souvent un déficit mécanique.
Mais ce n’est pas l’essentiel. «Avec l’autonomie, l’Etat a transféré aux universités des budgets souvent 3 à 4 fois supérieurs à ce qu’ils étaient avant, car grossis de la masse salariale. Mais, dans le calcul de départ, certaines se sont retrouvées sous-financées», explique Louis Vogel, le président de la CPU (Conférence des présidents d’université), par ailleurs à la tête de Paris-II-Panthéon-Assas.
Promesses. Or, il n’existe aucun système d’actualisation pour corriger ces problèmes. Et les budgets ne bougent pratiquement pas d’année en année. Les charges pesant sur les universités, elles, s’accroissent. Dans le cadre de la «nouvelle licence», les facs doivent, par exemple, augmenter le nombre d’heures de cours. Certaines, incapables de les financer, ont renoncé. L’Etat, qui a voulu privilégier le supérieur et la recherche, dispensés de la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux, n’a, en plus, pas tenu toutes ses promesses. Sarkozy s’était engagé à augmenter chaque année le budget de 1 milliard d’euros. Les présidents d’université et les syndicats pro-LRU, comme le Sgen-CFDT, soulignent qu’un gros effort a été fait les premières années. Mais ils reconnaissent que le compte n’y est pas. Le budget 2012 est même en légère baisse en termes réels.
L’Etat a par ailleurs oublié de financer le GVT - glissement vieillesse technicité -, la hausse de la masse salariale par le seul fait du vieillissement de certains personnels qui changent d’indice. Plusieurs universités sont alors passées au rouge. La CPU a bien obtenu une rallonge de 14,5 millions d’euros. Mais le problème risque de se reposer l’an prochain. «Laurent Wauquiez et avant lui Valérie Pécresse n’ont cessé d’afficher des sommes mirobolantes, souligne Stéphane Tassel, responsable du Snesup. Mais avec les années, les masques tombent : la LRU, c’est bien le désengagement de l’Etat.» D’autres sont plus diplomates. «En théorie, le bilan de la LRU est bon, les universités peuvent enfin mener leur propre politique, explique Louis Vogel. Mais s’il n’y a pas les moyens de financer l’autonomie, le principe risque d’être remis en cause. Au-delà, le pays doit s’interroger: pour sortir de la crise, est-il prêt à mettre le paquet sur l’université ?»